Verticale du Clos des Fées Vieilles Vignes et +
Préambule
Cher lecteur, je vous propose ci-dessous un petit article qui encadre une session extraordinaire du Club du Vin Passion à Bruxelles. Nous y avons dégusté l’entièreté des millésimes de la cuvée « Vieilles Vignes » mis en bouteilles depuis la création du domaine soit de 1998 à 2006.
Cette verticale sera précédée du Grenache Blanc V/V 2005 et suivie de la cuvée Le Clos des Fées 2005 ainsi que de « La Petite Sibérie » 2002 et 2001.
Comme pour mon article sur le domaine Sipp, il me faut remercier Hervé Bizeul pour, tout d’abord, son aide à compléter les flacons manquants de cette dégustation, mais surtout pour avoir supporté mon omniprésence de ces dernières semaines jusqu’à se prêter avec beaucoup de gentillesse et d’humanité à la petite interview que je vous conseille de ne pas rater en bas de cet article.
Bien que je sache aussi que le domaine du Clos des Fées est très bien bien médiatisé ne fut-ce que par son excellent site web ou par son forum adjacent, j’ai tout de même inséré un petit résumé d’entrée, question de replacer les choses pour ceux qui sont moins au fait des réalisations d’Hervé Bizeul.
Hervé a débuté par l’école hôtelière, puis a évolué comme journaliste-vin, chroniqueur gastronomique et conférencier.
Passionné de web et de vin, il accède à ses rêves à la fois par l’animation d’un blog très dynamique et très en vue où le franc parlé et le décalage dominent (http://www.closdesfees.com/blog2/) mais surtout par la création de son domaine « Le Clos des Fées » en 1997, sur des terres alors délaissées pour leur difficulté à être travaillées et « où les fées se réunissent encore au solstice pour danser »….
Il y est secondé par son épouse Claudine.
Situé en Roussillon près de Vingrau et de ses falaises bleues tombant à la verticale, le Domaine du Clos des Fées compte aujourd'hui 20 ha en production, répartis sur 26 parcelles dans la superbe Vallée de l'Agly sur le terroir de Vingrau, mais aussi sur les terroirs de Tautavel, de Maury, de Lesquedre et de Calce.
La vigne est conduite en lutte raisonnée avec traitements en douceur, le plus souvent avec des traitements en vert intensifs et avec acheminement du raisin aux chais en camion frigorifique. La vinification est moderne avec des macérations à froid et des élevages sur lies fines en fûts pour la plupart des vins.
Les millésimes
1998 : millésime chaud et sec et récolte faible avec un tri laborieux nécessaire vu la « naïveté » des vignes forment le programme de ce premier millésime.
1999 : Malgré un printemps et un été assez humide, les vendanges sont assez précoces, souvent sous la pluie. Malgré cela on ne déplore que peu de dilution et le résultat est un bon à très bon millésime avec une garde moyenne à grande.
2000 : bon millésime, structuré, riche mais de garde moyenne
2001 : vendanges précoces, excellent millésime, équilibré et de longue garde
2002 : millésime jaloux, couvert pendant les vendanges elles-mêmes très tardives. Au final ; beaux vins, frais et murs.
2003 : Millésime caniculaire à la différence que les vignes sont l’habitude de souffrir du stress hydrique en Roussillon. Petit blocage de maturité fin septembre. Après plusieurs jours d’attente, tout revient dans l’ordre (carignans magnifiques).
2004 : Très beau millésime, avec beaucoup de fraicheur, semblable à 2001 avec un peu d’alcool en plus. Finesse et race sont au rendez-vous.
2005 : Eté chaud mais sans sécheresse, climat idéal pendant les vendanges – millésime exceptionnel, vins tendus, tanins d’une grande finesse. Grande garde au programme.
2006 : Hiver froid et pluvieux avec un débourrement tardif suivi d’un été très sec. Vendanges perturbées par l’humidité. Vinifications patientes et au final, des vins très concentrés.
Les cuvées dégustées
Grenache Blanc Vieilles Vignes (Vin de Pays des Côtes Catalanes)
Parcelle de 2,5 hectares de grenache blanc (GB) (90%) et grenache gris (GG) (10%) avec des vignes de plus de 100 ans.
Terroir argilo-calcaire sur une altitude élevée (200-400 m)Vendanges manuelles
Fermentation lente en cuve Inox (GB) et barrique de deux vins (GG) et élevage en cuves 8 mois.
Filtration avant la mise en bouteilleGrand vieillissement au programme (avec quelquefois un peu de sucres résiduels)
Vieilles Vignes (Côtes du Roussillon Villages)
Assemblage de Grenache (35%), Carignan (35%), Lladoner Pelut (15%) et Syrah (15%) sur les plus vieilles vignes du domaine (50 à 100 ans) avec des sols majoritairement coteaux et argilo-calcaire.Travail en vert important : ébourgeonnage, effeuillage, … et vendange manuelles avec tri puis égrappage.
Fermentations et macération en cuve inox (20-25 jours) puis élevage en barriques (1vin/2vins) pendant 12 mois. Mise en bouteille après affinage en cuve 2 mois sans filtration.
Vin pouvant être consommé jeune (marqué alors par les tanins fins) mais… aussi d’une garde le plus souvent supérieure à 6 ans.
Le Clos des Fées (Côtes du Roussillon Villages)
Parcelles sélectionnées de vieilles vignes sur des coteaux argilo-calcaires avec un assemblage de parts égales Grenache, Syrah, Mourvèdre et Carignan 25%.Travail en vert intensif et vendange manuelles avec tri puis égrappage.
Vinification en futs demi-muids neufs de 5hl, malolactique en barriques neuves.
Elevage en barriques sur lies pendant 18 mois.
Mise en bouteille sans filtration.
Potentiel de garde 8 à 12 ans
La Petite Sibérie (Côtes du Roussillon Villages)
Parcelle unique de 1,16ha de vieilles vignes de Grenache Noir, en gobelet, sur un mamelon orienté Sud-ouest, assises sur un socle argilo-calcaire avec une coulée de schistes et micaschistes à forte teneur en fer.
Les températures moyennes y sont très basses (le mamelon exposé 200 jours par an à un vent du NO).
Taille tardiveTravail en vert intensif et vendanges manuelles.
Macération puis élevage jusqu’à la fin des malos sur lies sans souffre en futs.
Pas de filtration
Garde de 15 ans au moins.
Autres cuvées disponibles : « Les Sorcières » et « De battre mon cœur s’est arrêté ».
Coordonnées
Le Clos des Fées
Claudine et Hervé Bizeul
69, rue Maréchal Joffre
66600 VINGRAU
Téléphone : 04 68 29 40 00
Fax : 04 68 29 03 84
e-mail : info@closdesfees.com
Web : http://www.closdesfees.com/
La dégustation
Les vins ont été ouverts environ une heure et demie à deux heures et demie avant leur service, soigneusement carafés, puis stockés au frais à 10°c avant d’être replacés à température ambiante une demi-heure avant leur service.
Grenache Blanc Vieilles Vignes 2005 (Vin de Pays des Côtes Catalanes)
La robe est jaune dorée assez intense.
Le nez est lui aussi d’emblée très intense et complexe avec des notes de fruits (poire, pèche, coing), florales (fleurs blanches) et d’épices avec une pâte d’amande très présente et un zeste de poivre. Une très faible perception d’alcool ne vient pas perturber ce très beau nez.
La bouche est très fraiche, tout en volume et en équilibre avec une belle perception du fruit. Bien que l’alcool et une pointe de sucre résiduel soient ici présents, la finale n’en est pas moins splendide, sans la moindre trace d’amertume.
A boire pour le plaisir dès maintenant mais à garder aussi, sûrement.
(appréciation moyenne : 15/20 - appréciation perso : 15,5/20)
Vieilles Vignes Rouges 1998 (Côtes du Roussillon Villages)
Le vin se présente avec une robe rouge grenat un peu évoluée marquée aussi (comme pour les autres vins) par la non filtration. Le nez est assez fermé au service puis s’ouvre sur des notes évoluées (cacao, humus), puis sur du fruit (Fruits rouges et noirs) pour ensuite proposé un peu de pain grillé et de lacté. Après 15 minute d’aération, la torréfaction s’est installée et domine. Très beau.
En bouche, l’acidité est fine et fraiche, l’équilibre qui suit nous étonne par sa qualité (à mettre en parallèle avec les difficultés décrites par Hervé sur son site). En finale on note un peu d’alcool et une pointe de sécheresse le tout sur une longueur moyenne. Certains trouvent se vin un peu dissocié. Un très beau début si l’on tient compte de la genèse de ce premier vin et de l’acheminement de la bouteille jusqu’à ma cave (avion, train, voiture !)
(appréciation moyenne : 14/20 - appréciation perso : 14/20)
Vieilles Vignes Rouges 1999 (Côtes du Roussillon Villages)
On attaque ce second vin sur une robe rouge grenat profond. Directement, le vin surprend par son nez : très intense, les notes herbacées s’imposent avec de la gentiane, de l’herbe de bison et un petit côté poivron qui fait penser à un cabernet franc pas trop mûr. Mais les patients sont récompensés par des notes plus nobles de réglisse, de fruit et une certaine présence de chair fraiche (pas de gibier) un peu sanguine.
La bouche est structurée, équilibrée entre l’acidité fine, plus de fruit qu’au nez mais les notes premières du nez sont aussi présentes et perturbent une partie du groupe.
La finale est longue, fraiche avec une pointe d’assèchement.
(appréciation moyenne : 14,2/20 - appréciation perso : 15/20)
Vieilles Vignes Rouges 2000 (Côtes du Roussillon Villages)
Comme pour les deux prédécesseurs, on est ici sur une robe grenat foncé sans marques d’évolution.
Le nez a beaucoup d’intensité, à nouveau et propose une belle complexité avec du fruit (framboise), des épices (vanille) un côté viandeux et de très belles notes torréfiées ainsi que du cacao.
L’acidité une fois de plus tout en finesse apporte de la fraicheur à un équilibre splendide sur le fruit et le côté lacté. Très belle longueur aussi sans alcool ni amertume. Tout cela nous fait un très beau vin que le groupe a plébiscité ! On peut le boire avec énormément de plaisir ou l’attendre encore deux à trois ans.
(appréciation moyenne : 16,7/20 - appréciation perso : 17/,5/20)
Vieilles Vignes Rouges 2001 (Côtes du Roussillon Villages)
La robe est semblable à son prédécesseur mais le nez est beaucoup plus discret. On note du boisé (plus intensément que pour les millésimes précédents) et à nouveau ces notes de chair et de cacao mais tout cela manque de précision et le groupe reste perturbé jusqu’à ce qu’un d’entre nous mette le doigt sur le probable liégeux perturbateur… On décide quand même d’analyser la bouche qui s’avère très concentrée avec un fruit compoté plus marqué, plus de tannicité, un peu moins de fraicheur mais une longueur très importante qui fait penser que sans ses défauts techniques on aurait eu un vin tout de même prometteur. Ceux d’entre nous qui décident de donner une appréciation sont donc assez généreux.
(appréciation moyenne : 14,7/20 - appréciation perso : 15/20)
Vieilles Vignes Rouges 2002 (Côtes du Roussillon Villages)
Retour au calme avec ce 2002 mais pas au manque d’intensité. Avec toujours une robe de même faction, le vin nous repropose ici un nez de grande intensité, complexe et évolué avec des notes animales viandeuses qui viennent côtoyer des fruits noirs, de la réglisse, de la vanille et une petite pointe.
La bouche est une fois de plus tout en fraicheur avec un équilibre un peu discuté mais où le fruit est présent. Les tanins, bien que fins paraissent un peu plus asséchants que sur le 2000 par exemple.
Cela n’en reste pas moins un beau vin, bien apprécié par la majorité du groupe. Il nous paraît aussi plus « à boire » que le 2000. On est certainement aussi loin des travers du millésime sur beaucoup de vins de la région.
(appréciation moyenne : 15,6/20 - appréciation perso : 15/20)
Vieilles Vignes Rouges 2003 (Côtes du Roussillon Villages)
On se trouve ici devant un vin d’une catégorie plus jeune. A la vue, on note de reflets violacés et un côté plus sombre ; au nez, on a une belle intensité plus marquée par les épices (vanille, poivre) et la résine que pour les vins précédents, le tout contribuant à donner un côté boisé plus marqué. On note quand même aussi les déjà rencontrés aromes de cacao et de torréfaction.
En bouche, on a à nouveau cet équilibre tout en fraicheur autour d’un beau fruit, bien croquant qui serait parfait si les tanins ne se marquaient pas de façon plus intense que pour les vins précédents.
Le côté ni prêt, ni très jeune de ce vin perturbe un tout petit peu, mais on est ici surement sur une charnière de son évolution.
(appréciation moyenne : 14,6/20 - appréciation perso : 14,5/20)
Vieilles Vignes Rouges 2004 (Côtes du Roussillon Villages)
La robe continue à foncer et se violacer avec les millésimes qui rajeunissent. Au nez, le vin est somptueux, tout en finesse et en velouté avec des aromes de mûres, de fruits noirs compotés, de pain grillé et d’épices. Le mot « crémeux » revient souvent. On retrouve tout cela en bouche avec une texture soyeuse, sapide, un équilibre prodigieux et des tanins fins, intégrés qui portent la finale sur une très grande longueur. Un vin exceptionnel !
(appréciation moyenne : 16,9/20 - appréciation perso : 18/20)
Vieilles Vignes Rouges 2005 (Côtes du Roussillon Villages)
Avec une robe grenat profond violacée, ce vin nous propose un nez tout d’abord assez fermé puis s’ouvrant sur des fruits noirs (mûres) et un toasté très élégant.
La bouche est au diapason, la fraicheur y dompte la tannicité plus structurée que précédemment, avec une petite note métallique. L’équilibre est là, la matière est énorme, la finale interminable… On est toutefois sur un vin qui nous paraît fort jeune et nous conseillons d’attendre deux-trois ans. Mais que de belles promesses, un très beau vin donc, une fois de plus…
(appréciation moyenne : 17,1/20 - appréciation perso : 17/20)
Vieilles Vignes Rouges 2006 (Côtes du Roussillon Villages)
La robe est semblable en tous points au 2005 ; le nez est d’abord assez fermé puis s’ouvre lentement sur des fruits noirs et de la vanille, le tout assez toasté. Cela reste toutefois en deçà de l’intensité des millésimes précédents et on note aussi quelques sensations herbacées. La jeunesse, probablement.
La bouche est très puissante, fraiche, déjà structurée avec des tanins croquants. Le boisé, plus intense doit encore s’intégrer.
(appréciation moyenne : 16,5/20 - appréciation perso : 16,5/20)
Le Clos des Fées 2005 (Côtes du Roussillon Villages)
Le vin est très concentré à la vue avec de nombreux reflets violacés. Le nez est très complexe, dense et on n’arrête pas de bondir d’un arome à l’autre : fruits noirs, toasté, réglisse, etc…
La bouche rappelle les V/V 2005 mais avec un équilibre encore plus affirmé et encore plus de soyeux. Un grand vin à attendre toutefois.
(appréciation moyenne : 17,7/20 - appréciation perso : 16/20)
La Petite Sibérie 2002 (Côtes du Roussillon Villages)
La robe est grenat violacé avec des traces d’évolution. Le nez est une pure merveille de fraicheur et de complexité… c’est riche et aérien à la fois.
Tous les aromes présents s’arrondissent aussi dans des flaveurs compotées qui rappellent le kirsch (sans l’alcool) ou la confiture de sureau. MAGNIFIQUE.
En bouche on retrouve tous cela : fruité, tension, tanins fondus, alambiquées dans un équilibre d’une grande pureté et une finale qu’on emporte à la maison.Le plus grand vin de la soirée indéniablement. Bravo l’artiste !
Il faut noter que ce vin a été servi à l’aveugle et a été pré-décrit comme un intéressant petit vin de pays, histoire de se rincer les papilles avant la Petite Sibérie 2001…
Dans ce contexte, l’énoncé complet des appréciations vaut le détour :
19 – 19,5 – 19 – 19 - 18,5 – 17 – 17 – 16 - 19 – 17 – 18 (no more comment)
(appréciation moyenne : 18,2/20 - appréciation perso : 19/20)
La Petite Sibérie 2001 (Côtes du Roussillon Villages)
La robe est plus soutenue que pour le 2001 mais on retrouve au nez la complexité et les aromes intenses du 2001, en un peu moins évolués toutefois.
La bouche, fort comparable à son prédécesseur cherche toutefois plus sur la concentration et la matière ce qui suggère d’attendre encore un peu ce vin, alors que le 2002 était prêt de prêt. Cette différence explique à mon avis la différence d’un petit point entre les deux vins, mais on vole à nouveau ici dans les sommets !
(appréciation moyenne : 17,7/20 - appréciation perso : 18/20)
Conclusion
Rarement un exercice aussi difficile qu’une telle verticale n’a récolté tant de suffrages. Trois des membres de notre groupe m’ont avoué (sûrement encore sous le choc de l’émotion) avoir vécu la plus belle dégustation de leur vie, c’est dire…. Les notes moyennes sont très élevées mais cela paraît justifié au regard de la qualité des vins servis et qu’il avait été clairement décidé de ne pas se laisser attendrir !
Il y a deux axes qui se dégagent :
Le premier est qu’à travers les millésimes, les vins évoluent vers plus de suavité, de finesse et de minéralité, alors que parallèlement les vins gagnent en concentration. On sent le travail perpétuel la derrière.
Le second et c’est peut-être la patte de spécifique du viticulteur, est qu’on retrouve une trame commune, principalement dans les aromes (mûre, réglisse, cacao) et encore plus dans la fraicheur en bouche de l’attaque à la finale. Comme le disait un participant à la dégustation sur ce forum, les vins ne sont jamais lourds.
Il ne reste plus que tenter le même coup sur la cuvée « Le Clos »… on peut toujours rêver…
Et enfin que dire des deux « Sibérie » si ce n’est que l’émotion souvent suggérée par Hervé a été au rendez-vous. Rarement, il m’a été donné de goûter en Roussillon et ailleurs quelque chose d’aussi aérien.
Ceux qui, par vents et marées, décrient son prix, devront admettre que nous avons vibré, et puis tant qu’on parle de prix, que dire du rapport qu’offrent les vieilles vignes ?
Interview :
Vous en êtes venu à créer un domaine par passion avec une étiquette «intellectuel » débarquant en Roussillon. Sans vouloir du tout cataloguer les viticulteurs en notion de terrien/intellectuel, pensez-vous après 10 ans, être comme à vos débuts ou est-ce que le travail de la vigne vous a rendu plus terrien?
C’est gentil. J’ai commencé à travaillé à 15 ans, comme garçon de café. Puis école hôtelière, 5 ans, à éplucher les patates et laver les toilettes. Comme formation d’intellectuel, disons qu’il y a mieux...
En vérité, j’étais au fond de moi, un “paysan” pur souche. Mon évolution professionnelle n’a fait finalement que révéler un aspect de ma personnalité. J’hésite à prendre l’image du transsexuel qui, depuis toujours se “sent” femme ;-), mais c’est un peu ça. Disons que le vin c’est ma passion, et que je ne me suis pas contenté de boire mais que j’ai toujours voulu comprendre. Au moment de l’installation, tout cela a fait la différence.
Sur la vie à la campagne, le travail à la vigne, le fait de faire du vin, ça m’a rendu plus critique et plus dur envers certains vins, plus tolérant envers certains vignerons, qui essayent de tout leur cœur mais n’y arrive pas toujours, souvent à cause de choses qui ne dépendent pas d’eux. Oui, la vision du vin change quand on en fait...
Vous faites beaucoup allusion à la pression des banquiers vis-à-vis du jeune viticulteur en soif de s’installer et de faire progresser ses installations. A vous lire, et à entendre nombreux de vos collègues, on imagine bien que ce n’est effectivement pas évident. Pensez-vous, dans le cadre de la crise des crédits actuels, que les banques vont fermer leurs portes aux jeunes investisseurs dans le vignoble ?
Le travail de la vigne, c’est une chose. La création d’un domaine viticole, c’est différent. Si on veut avoir 7 ha, travailler tout seul, tout faire, on peut se passer des banques très vite. Si on a rien au départ, pas de capitaux, mieux faut avoir une bonne compréhension des obligations du banquier, de ses possibilités, qui progressent avec l’entreprise, de la fiscalité surtout, car par exemple deux domaines qui connaîtraient le même parcours pourraient soit vivre, soit mourir, juste parce leur fiscalité a été mal gérée. C’est la France. Il y a des bons et des mauvais côtés. Il ne faut pas se braquer mais apprendre. Le vin, aujourd’hui, c’est dix métiers... C’est pour cela que certains qui arrivent de l’extérieur, avec un passé et une expérience plus riche, réussissent parfois mieux.
Je trouve comme beaucoup l’exercice d’une verticale complète très difficile et très subjectif dans le sens que beaucoup d’a priori positifs et négatifs peuvent s’y exprimer. Qu’en pensez-vous ?
C’est l’horreur ;-). Vous m’avez vraiment angoissé... Pour le vigneron qui est en “construction”, surtout. C’est comme quand on vous ressort des photos de vous, en boite de nuit, dans les années 80... ;-) Il faut assumer les vins du début, surtout quand comme moi c’est une création, les aimer, et comprendre combien ils ont été importants pour les vins d’aujourd’hui. Je suis déjà en plein dans le millésime 2009. Me retourner sur le passé, ce n’est pas une chose aisée. Ca demande un effort. Mais si on le fait, si on ne demande pas aux vins du début d’être comme ceux d’aujourd’hui, c’est passionnant. Une verticale, il faut que ça serve à comprendre le domaine, pas seulement à le juger.
Nous avons été frappés lors de notre dégustation par la trame de fraicheur de tous vos vins, alors que jamais les acidités ne nous ont paru excessives (tout au contraire). A tel point que certains de vos vins peuvent servir de modèle à ceux qui s’interrogent sur la différence entre la notion de fraicheur et d’acidité. Peut-on estimer que le fait de transporter les raisins vendangés en camion frigorifique intervient dans cet apport de fraicheur ?
Non. Au début, je n’avais pas de froid. En fait, je n’avais rien ;-) Les camions frigo, c’était facile à louer, parce que on avait pas d’argent pour acheter un tracteur, une remorque. Et oui, dans “camion frigo”, il y a surtout camion ;-) Quitte à louer, autant louer un frigo, non ? Tout s’explique quand on connaît le garage de la maison. On ne peut rien rentrer. Même quand c’est vide, c’est plein ;-). Le frigo, c’est pour pouvoir travailler doucement, à son rythme, des raisins qui ne se dégradent pas, même quand on termine l’encuvage à dix heures du soir. Le Clos des Fées, c’est de l’artisanat pur et dur. La clé de ce que vous avez ressenti, à mon avis, c’est le pH. Le vin est un milieu acide. On peut ramasser mûr SI on garde cette acidité. Certains l’ont oublié. Le temps les rappellent à l’ordre. Pas de grand de vins rouges de garde avec des pH supérieurs à 3.80. Enfin, à mon goût. Au Clos des Fées, on vise entre 3,40 et 3.55, selon les millésimes. Le secret, c’est sans doute l’assemblage, comme en Champagne : 135 parcelles, ca fait du choix de raisins, à tous les stades de maturité. C’est l’horreur à cultiver, au niveau de l’organisation, du matériel, des coûts, mais au moment des vendanges, on oublie tout et on a une “palette” de raisins je pense assez unique au monde.
La clé, de toute façon, c’est de retravailler les sols et d’arrêter d’engraisser les vignes avec des produits chimiques. Ou naturels, d’ailleurs, c’est pareil. Le résultat, c’est que nous n’avons jamais dépassé 20 hl/ha, ce qui me semble plus naturel que 150... Mais quand on goûte les vins, on se dit qu’on a raison ;-). Ca explique en partie le prix. Et puis on a des veilles vignes. C’est pas drôle tous les jours, mais on les a, et on les aime. C’est comme des parents âgés. Jusqu’au dernier souffle, ils ont quelque chose d’intéressant à dire, à donner. Si on les entoure d’amour et d’attention...Plus que fraicheur ou acidité, que vous signalez et ça me plait, j’aime la notion de “tension”. Un peu comme une danseuse classique, vous savez, le “port de tête”. C’est ça dont je rêve (pour mes vins ;-). Mais c’est un travail de tous les instants qui ne permet aucun relâchement. Le grand vin, c’est une affaire de discipline, en fait. Faire ce qu’il faut, au moment où il faut. Le moindre écart, on sort du jeu.... C’est à la fois excitant, ingrat, injuste... Il y aussi un facteur chance essentiel, dont il ne faut jamais sous-estimer l’importance. On a eu beaucoup. Bon, en même temps, comme disait je ne sais plus qui “je crois beaucoup à la chance. D’ailleurs, plus je travaille, plus j’en ai” ;-)
On vous voit souvent faire intervenir Claudine dans vos récits de vie. C’est évidemment logique. Pensez-vous toutefois que son action auprès de vous a changé vos vins ou contribuera à les faire évoluer dans l’avenir ?
Si Claudine n’était pas venue à Vingrau, je n’aurais jamais fait de vin ou alors juste pour m’amuser. C’est trop dur, il y a trop de doute, de moments “down”, d’angoisses, de peurs, de difficultés pour démarrer de rien un tel projet. Sans elle... Bon, former un “couple” de vigneron, c’est aussi un choix. C’est pas toujours facile. Mais vous êtes marié, non ? ;-) Sur l’évolution du domaine, Claudine est partie prenante, bien sûr. Mais sur les vins, elle me laisse une totale liberté et m’appuie inconditionnellement. C’est important. Et elle aime nos vins, bien sûr. Il faut de toute façon être “en phase” avec les vins qu’on propose, sinon, comment faire passer sa passion aux clients ? Cela sonne tout de suite faux... Elle est aussi passionnée que moi, même si la vie agricole n’est pas toujours ni simple, ni agréable. On est loin, parfois bien seul. Les rythmes de vie sont ceux des saisons et des taches, il faut abandonner certains conforts, certaines habitudes, pourtant très agréables. Le grand vin, c’est tout sauf la facilité ;-). Le grand vin, c’est faire des choix, y compris dans sa vie privée, et s’y tenir.
Lors du Grand Tasting 2008, j’ai été frappé par le comportement d’un grand nombre de dégustateurs, s’identifiant clairement comme « Bordeaux/Bourgogne, y a que ca de vrai », venir à votre stand, faire la moue jusqu’au Clos puis trouver soudainement que la Petite Sibérie est un grand vin. Même si vous communiquez de façon très spécifique sur ce dernier vin, ce type de comportements ne vous agace-t-il pas ?
Je n’ai pas de jugement sur l’itinéraire d’un amateur de vin. Comme dit le proverbe indien : on peut amener la vache à la rivière, pas la forcer à boire”. Chacun est le bienvenu sur mon stand ou dans ma cave, même s’il vient pour “casser” du Roussillon ou du “vin cher”. Ma porte est ouverte. Certains sont touchés, d’autres non. C’est parfois douloureux, souvent injuste. Mais c’est comme ça. Une dégustation comme celle que vous venez de faire, et qui a, apparemment convaincu, est pour le vigneron un grand moment de joie et de fierté. Elle fait du bien et permet d’oublier les difficultés. Conforte. Rassure. Tous les vignerons qui tentent de faire des bons vins sont hyper sensibles. J’essaie non pas de m’endurcir, de me protéger des critiques, mais de les accepter, de les laisser passer. Il faut de toute façon garder son cap, dans un sens comme dans l’autre. “un navire sans but n’aura jamais de vents favorables” dit le marin. Comme c’est vrai... J’ai beaucoup gouté, avant de faire du vin, beaucoup dépensé dans ma passion. Je sais ce qu’est (pour moi, bien sûr) un grand vin. Cela me rend plus fort, plus apte à contrer des critiques injustes ou infondées. On en revient toujours là : déguster, déguster, déguster...
Bon, il y a encore un long chemin à parcourir avant d’être connu et estimé du grand public. Mais nous avons eu tant de chance, tant d’articles, tant de récompenses, nous avons convaincu tant de gens, déjà...
Au début, nous n’aurions jamais imaginé avoir un jour une telle image de qualité, d’excellence. Je me réjouis déjà de ce que j’ai : la liberté de continuer à tenter de faire des grands vins. C’est la seule chose qui compte à mes yeux.
En dehors des dogmes et de leurs excès, seriez-vous d’accord de reconnaître que les divers mouvements bios sont un intéressant laboratoire d’avenir, au même titre que votre volonté de travailler le plus proprement possible de la manière la plus raisonnée possible ?
Bien sûr. Seul me gêne la notion de “naturel”. Si on trouvait une molécule de synthèse qui n’ait AUCUN impact sur l’environnement, faudrait-il la refuser sous prétexte qu’elle est “de synthèse”. Non, bien sûr. Je suis très proche du bio par mes actes quotidiens. Mais très loin de la notion de “label” ou de “norme”, de ce qui est “bien” ou “mal”. Je n’ai jamais vu de vignes plus en forme qu’après deux ans d’arsénite de soude, d’arsenic, quoi. Ca donne à réfléchir, non ? Toujours prendre l’homme comme référent pour dire “ceci est bon ou mauvais” pour un végétal me semble de la plus grande arrogance. On peut pas “faire la vigne”, au milieu d’un coteau, et imaginer qu’on “pense” comme elle et ce que qui est bon pour moi l’est pour elle. C’est plus complexe. Ca n’empêche pas de se poser des questions du genre : la vigne a t’elle une “conscience”. C’est un long débat ;-)
De toute façon, tous les grands vignerons sont sur le chemin de moins de chimie dans la vigne, tout simplement parce que le vin est meilleur. Et dans la cave, bien sûr. On en parle jamais, et pourtant il y aurait tant à dire... Pour moi, la question première reste quand même, au moment du choix “le vin sera t-il meilleur”. Etrangement, quand la réponse est oui, c’est la plupart du temps quand on travaille avec peu d’intrants. Ca me va.
On ne peut jamais dire « Fontaine, je ne boirai jamais de ton eau », pensez-vous aujourd’hui toutefois qu’aller vers une démarche encore plus bio vous est difficile ?
Elle est évidente au niveau des “petits vins” que je produis, avec tout autant de fierté. A horizon deux ou trois ans, nous rentrerons sans doute dans un mécanisme de certification, qui va beaucoup évoluer d’ailleurs avec les réformes françaises et européennes.
Pour le Clos des Fées, il faudrait arracher 1/3 de mes plus belles vignes, les plus vieilles, qui, en pente et en coteaux, ne peuvent être labourées. Sauf à trouver deux gars, quatre mules, une écurie, etc... Je ne peux m’y résoudre. Je suis en totale admiration sur le travail de Pontet-Canet pour repenser la traction animale. C’est extraordinaire. Mais je ne n’ai pas les moyens de Pontet-Canet. Il faudra attendre un peu ;-)
Sur les plantations récentes, on y est, de toute façon, et c’est assez facile, parce que c’est mécanisable. La nouvelle législation européenne, qui permet à une exploitation de cumuler des cultures en bio et en conventionnel, est peut-être une solution. Mais un intrant ou deux, le moins nocif, de plus ou de moins, et encore pas chaque année, est-ce vraiment important, quand ailleurs, on en met jusqu’à... 50. J’aime la mesure, les nuances de gris. Pas le noir ou le blanc...
C’est un problème de coûts, d’organisation, de main-d’œuvre, de démarche personnelle. Sur autant de parcelles, ce n’est pas difficile, c’est très complexe et très couteux. Le Clos des Fées est un domaine en construction. Quand on sera “stable”, sur tous les points et en particulier financier, on franchira un nouveau pas.
Quelle serait pour vous, aujourd’hui, la plus belle reconnaissance à laquelle vous aimeriez aspirer (encore ?)…
Ce genre de réaction de la part de dégustateur est parmi celles qui me rendent le plus fiers. Articles, médailles, notes, tout cela est important, bien sûr, pour l’équilibre économique du domaine, encore très fragile. Mais à titre personnel, ce qui m’émeut et me permet de me sentir “gratifié”, c’est quand un amateur m’écrit pour me dire “on a bu un clos des fées, ou un vieilles vignes, ou un sorcières, on a eu du plaisir, de l’émotion, et on a passé une super soirée. C’est pour ce genre de moment que je travaille. Le reste, c’est important, très important. Mais ça me touche moins. Bon, en me relisant, je l’avoue, j’aimerai qu’on dise un jour “par son travail, avec d’autres, il a changé l’image des vins de la région où il est né”. Je rêve un peu, non ? ;-)
On vous sait très lié à la beauté sauvage de votre région. Vous y êtes sûrement pour longtemps… Avez-vous déjà pensé vous installer partiellement dans une autre région ?
Non (NDLR : ça a le mérite d’être clair)
Vous êtes un viticulteur-bloggeur et vous n’hésitez pas à vous exprimer sur la toile particulièrement sur certains forums. Pensez-vous que la « faune » que vous y rencontrez est une espèce à part ou au contraire très représentative du monde des amateurs de vin ?
Elle est très représentative des “amateurs”. Sans doute pas des “buveurs” ponctuels. Ne nous leurrons pas, il y a très peu de “passionnés du vin” dans le monde, et même en France. Une chose me frappe toujours : il y a plus de revues, en kiosque, sur les montres, les salles de bain, les teckels ou le yoga que sur le vin. Ca veut tout dire.
J’aime ces forums. Ils sont en train de changer la façon de voir des amateurs. J’aime ceux qui écrivent, qui passent du temps, je pense beaucoup à ceux qui lisent : j’aurais tant aimé avoir un tel support quand j’ai démarré, pour apprendre, à mon rythme.
Je m’y investi, j’y prends des risques, parce que je pense que je dois défendre la cause du vin, l’aspect production. Je suis triste quand je vois que peu de vignerons y participent, pour eux, bien sûr, mais surtout pour notre corporation dans son ensemble. J’espère que ça va changer. Je sais aussi que ce n’est pas facile... J’ai beaucoup de chance, à l’école hôtelière, d’avoir appris à taper à la machine. A quoi ça tient, parfois...
Vous aurez remarqué lors de nos échanges des derniers mois que je suis assez accroc à la dégustation des vins… Il existe un antidote, docteur ?
Mais pourquoi donc vouloir se soigner d’une aussi douce maladie ?