L'accord imparfait
Préambule
Dans le texte qui suit, les noms sont fictifs puisque toute ressemblance avec des faits existants est bien réelle et que je ne voudrais pas par le texte qui suit nuire à qui que ce soit et sûrement pas à mes amis vignerons que j’appellerai donc Marc et Sophie pour l’occasion et qui ne sont strictement pour rien dans ce qui suit, les seuls à porter une responsabilité étant le patron du restaurant et bien évidemment son jeune sommelier.
Et si j’écris ce qui va suivre, c’est pour faire rire et rien que cela, tout simplement parce qu’il faut savoir prendre du recul avec ses mésaventures.
L’accord imparfait
Imaginez-vous l’idée du paradis…. Imaginez-moi ainsi que ma femme et une bonne dizaine de mes potes œnophiles rayonnant de bonheur à partager notre repas avec Marc et Sophie, jeunes et talentueux vignerons de Rieslingheim dans le nouvel étoilé bibendum du même village que de nombreuses personnes avisées nous avaient particulièrement conseillé pour la cuisine et... les vins.
Nous voilà donc entrant dans le Nirvana où d’emblée, il nous semble que le patron, originellement décrit comme un actif primaire sautillant, a l'air d'emblée un tantinet dépressif. On a conclu, le lendemain, que cet état léthargique devait être consécutif aux commentaires de sa clientèle, si du moins, nos prédécesseurs avaient eu à subir le même traitement que nous.
La suite est très bon enfant puisque on nous laisse nous placer à notre guise, soit, évidemment, moi entouré de ma petite femme et de Sophie avec Marc en face ... le nirvana je vous dis!
Arrive la mise en bouche où la gentille dame de service oublie d'abord de nous décrire le contenu. Quand on la rattrape, plusieurs minutes plus tard, pour tenter de savoir ce que l’on est sensé déguster, la donzelle fait appel à un copion pour nous décrire la bête constituée de… trois petites verrines.... Gageons que le chef venait de faire une nouvelle création quelques minutes auparavant…
Quand à l’accompagnement vinique ou autre, c’est « Quand t’es dans le désert », tous les verres brillant de leur propreté inviolée.
Je dois attendre la fin de cette assiette découverte pour enfin affronter une première fois le jeune et fantomatique sommelier afin de s’occuper d’un point assez sensible dans un repas : le choix des vins.
Après maintes tergiversations entre lui, Marc le vigneron et moi, le spectral ministre de la cave nous suggère 4 vins surprises (à 40 euros par personne tout de même), nous assurant qu'on ne va pas regretter ce choix.
Moi qui voulais agrémenter les plats avec les vins de Marc et Sophie, je reste perplexe mais Marc trouve cela plutôt amusant de partir à l’aventure et le bon peuple de mes potes abonde à fond les manettes.
Je me plie à la vox populi, je prends les 40 euros… mais j'insiste tout de même pour avoir des vins d'Alsace.
Vu notre nombre important de convives (22 avec les enfants), nous avions fait notre choix de plat plusieurs semaines auparavant à la demande du patron monoconstellé et je me rassure quand même sur le fait que pour les accords cela va aller sans la moindre anicroche, voire être sublime...
Et maintenant, comme dirait David… Let’s dance.
Sur le premier plat qui était soit du homard, soit du foie gras, on reçoit un pinot blanc 2007 bien sec et transparent dans tous les sens du terme issu de la Cave de Machinwihr. Pour information, et c’est intéressant pour ce qui va suivre, le secteur le plus grêlé le 20 juin 2007 en Alsace était celui de Machinwihr et Bennwihr. Par ailleurs, les gens polis que nous sommes aiment à signaler que de toutes les coopératives de l’Alsace, de la France et de la Navarre, la cave de Machinwihr n’est pas le plus grand des fleurons.
Rapidement, le bloc des supporters du virage "Foie Gras" a déjà fortement tendance a vouloir envahir le terrain, mais les capitaines de chaque équipe, soit Marc pour le RSC Rieslingheim et moi pour Racing Belgo Oenophilic Association réussissent à calmer la révolte. Nous, on est « des gentils » et on se dit qu'il faut bien commencer avec quelque chose. Le seul absent en début de cette rencontre du 3e type est l’arbitre, le fantomatique sommelier.
Pour le second plat, c’est poisson bien blanc pour tout le monde. Peu avant le service de celui-ci, le maître des quilles refait une pâle apparition, non pas pour nous demander notre avis sur le premier accord mais pour me faire goûter le second vin … un beau petit GW 2007 bien variéto au bon extrait fluide de rose et avec quelque 30 gr de résiduel en perception... et de chez qui ? .... de la cave de Machinwihr, of course.
Je jure que dans un resto je suis un calme et je veux rester modeste... Deux fois une des moins bonnes coops d'Alsace de suite, c’est dur pour les nerfs mais ca passe encore... MAIS…le poisson vapeur au sirop : c’est BEEUUUAAAARRRKK.
Je ne vous dis pas la poire de Marc et Sophie; si je ne les savait pas dans la force de l’âge, j’aurais appelé d’urgence le samu, l’hélico et tout le bazar.
Comme je sens que mon Marc, taille Grizzli, 2 mètres en hauteur et 1 en largeur d’épaule va se transformer en Hulk, je prends les devants et quémande le sommelier au parloir avant que les poissons ne fichent le camp par protestation et que le géant vert ne se mette pas à tout péter.
Le brave jeune garçon, fantomatique jusque là, s'amène, encaisse les doux mots que je lui balance et devient livide (la seule chose qui manquait à son état) quand je lui demande de justifier son choix et me répond: "je pensais que cela vous plairait mais il y a pas de soucis"... c'est tout et là-dessus, il s'en va en vitesse utilisant cette tactique connue du repli stratégique de l'armée française en mai 40.
A aucun moment, le bougre ne nous a suggéré de changer le vin. On approche des Abysses. Je lance un regard apeuré à mon vis à vis du genre « Reste zen, Freddy » » avant qu’il se mette à attaquer les pieds de la table à la tronçonneuse. Heureusement, le géant Marc sait qu’il est mon hôte et grâce à mes suppliques, on évite de justesse un nouveau Tchernobyl.
On attend dès lors le plat suivant donc, les viandes rouges. Sauf surprise interstellaire, un rouge d'Alsace, c'est très très souvent un pinot noir, donc je me dis que l' «oiseau» de sommelier aura peut-être trouvé un truc bien sur lui comme les pinots de Muré ou même d'Agathe...
Nan !
Quand Mossieur le sommelier a une idée fixe, il ne la met pas à côté et on reçoit donc un pinot noir de la CAVE DE MACHINWIHR 2006.
«Tudju» beugle mon "Prunelle" de vis-à-vis qui s'apprête sur le champ à balancer un Exocet sur le triste gaffeur de conseiller en vins... mais n'en a pas le temps parce que sa petite Sophie et moi-même, on a porté nos naseaux à la coupe et on manque de tomber ensemble de notre chaise dans un mouvement digne d’un ballet du XXe siècle. On vient en fait de découvrir un spécimen démesuré de "volatile", le genre coureur.
Et quand l’ignoble responsable des vins nous annonce fièrement que la volatile n’est pas un défaut, on plonge dans la guerre civile, ca se lève de partout.
La suite, vous l’imaginez... Je ne me rappelle même plus du dessert et s’il était accompagné d’un vin ; ca faisait un bail que je m’étais mis à l’eau plate afin de ne pas me transformer en Serial Killer.
A 1H00 du mat, (je m'étais levé 21 heures plus tôt), le patron, confus, essayait de sauver la situation à coup de coupes de champagne mais ca faisait assez dernier carré à Waterloo face aux hordes de belges assoiffées de sang alsacien, hordes grossies et menées avec hargne par un vigneron local enragé. Toutefois, il a bien fallu aller se coucher (moi, surtout) et puis on n’abat pas un homme à terre et atterré.
On m'a conté plus tard que Marc et Sophie étaient restés encore un petit temps sur le champ de bataille pour empêcher le pauvre bougre de patron de se réoxygéner.
Moi, finalement je m'en fous, tout cela n'était qu'un obstacle renversé dans un 110 mètres alsacien d'anthologie et on pardonne tout à ceux qu'on aime! Et l’Alsace, je l’aime à en mourir.
En plus, Marc m'a offert le bouquin de Dubs le lendemain matin en repassant à l'hôtel-restaurant pour aller remettre ses salutations au Patron, encore victime des spasmes contractés la veille. L'opuscule de Serge Dubs, je le cherchais depuis des lustres, j'étais HEU---REUX.