Les crus du Domaine Marcel Deiss... à la loupe
Avant propos Dans le Club INAO de Waterloo, nous avons décidé de partir à la recherche de l’expression des terroirs voulue par Jean-Michel et Mathieu Deiss à travers leurs différents vins et sur différents millésimes. Cette dégustation, en fait, n'a pas que la découverte des terroirs du domaine comme finalité unique, elle se veut aussi le point de départ d'une discussion avec Jean-Michel Deiss que je tiens à remercier particulièrement pour son intense collaboration. Après une description du domaine et de sa philosophie, vous trouverez donc ci-dessous le compte-rendu de la dégustation, suivi de l'interview de Jean-Michel Deiss. | ||||||
A propos du domaine et de ses vignerons Le Domaine Marcel Deiss est situé à Bergheim, splendide petit village médiéval fortifié à quelques encablures de Ribeauvillé, aux portes du Haut-Rhin. Si la famille Deiss y est active depuis le milieu du 18e siècle, c’est sous l’impulsion de Marcel et de son fils André que le domaine se développe au lendemain de la seconde guerre mondiale. | ||||||
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Ceci, c’est pour les faits historico-géographiques… Il me revient maintenant tenter brièvement d’expliquer comment cette aura actuelle s’est développée, ce qui n’est pas vraiment une mince affaire, du moins si on essaye de prendre les choses objectivement, ce qui est extrêmement difficile quand on est, comme moi, admiratif du parcours de Jean-Michel et de ses vins, mais sans que cela ne soit non plus une admiration mythique qui occulterait le reste de la région. Pour tenter donc de décrire l’action de Jean-Michel Deiss, j’aimerais prendre un exemple sous forme d’image : On peut imaginer le vignoble alsacien au milieu des années 80 comme un grand essuie jeté sans trop de soin sur une table. Le tissu attire bien par certaines caractéristiques visuelles (que l’on peut comparer à des domaines comme Hugel, Trimbach, Léon Beyer), mais il est là, il ne gène personne tout comme la majorité des vins alsaciens qui s’écoulent à l’époque à la bonne soif de chacun. Ne prenez évidemment pas ces propos comme exhaustifs. Et puis, lentement, de petits bonshommes viennent se placer aux quatre coins de la toile et se mettent à la tirer pour l’étendre, la faire vibrer, la rendre réactive. Parmi ces bonshommes de la première heure, il y a Léonard Humbrecht, Marc Kreydenweiss et plus particulièrement Jean-Michel Deiss. Depuis vingt ans, Jean-Michel Deiss est effectivement partie prenante un peu ou beaucoup dans presque toutes les étapes qui font que le vignoble alsacien s’est développé au point de focaliser de plus en plus l’attention des œnophiles du monde entier. De par la mise en application de ces principes Jean Michel et Mathieu Deiss ont créé un véritable pôle d’évolution dans la région. Certains diront que les vins doivent trouver une forme de surmaturité pour pouvoir être rien que vendangés, tous cépages mûrs, certains opposeront énormément d’autres arguments, mon propos n’est pas ici de prendre position. Rien qu’avec le dernier débat qui suit, résultat ultime de l’évolution de la philosophie du domaine, Jean Michel Deiss a soulevé des tsunamis passionnés et passionnels : Au regard, entres autres, des nouvelles directives européennes bruxello-strasbourgeoises, notre homme propose pas moins de réformer les appellations actuelles pour les adapter aux visions consuméristes et éthiques de cette nouvelle législation, reléguant le cépage au rôle de sous-fifre éventuel au dos des bouteilles. C’est sûr que tout cela pourrait être décrit avec plus de détails et de justesse, mais je pense que cela suffit pour comprendre la tempête levée, plus particulièrement dans une région tellement attachée à son histoire. Depuis 2005, certain vins ont vu leur étiquette évoluer... | ||||||
Je me bornerai donc à dire simplement « à suivre », si le débat vous intéresse, les discussions ne manquent pas dans la presse spécialisée ou dans les meilleurs forums et autres blogs... Le verre à la main, c’est la seule finalité de cette longue intro, c’est de voir comment nos palais avides peuvent ressentir cette expression, ces expressions, voulues par le domaine, gardant en tête, même aux dires de leurs géniteurs, qu’il est plus qu’improbable d’apprécier tous les vins, tant leurs expressions différentes. | ||||||
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Avant de passer à cette dégustation, je voudrais laisser le mot de la fin de cette intro à Jean-Michel Deiss en l’écoutant deviser au sujet de l’Altenberg de Bergheim, son premier vin créé dans l’optique cru/terroir : L’élaboration de ce vin marque une étape dans ma vie de vigneron et une rupture avec le primat du Cépage dominant le Terroir dont l’Alsace a tant souffert au cours de ces cent dernières années. La dégustation Nous nous sommes limités aux vins «blancs» du domaine auxquels la notion de «Cru» est appliquée. Les vins, selon les recommandations de la maison Marcel Deiss, ont été carafés minimum une heure et conservés au frais avant leur service. La température de service était de 12°C | ||||||
Les vins dégustés
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Complantation de Riesling, Pinot Gris, Beurot, Muscat, Pinot Noir Terroir de Saint Hippolyte, en forte pente, aménagé de terrasses historiques, face au Sud et constitué de granit très dégradé, pauvre et maigre ; vigne complexe, réunissant les cépages les plus précoces et le Riesling dans une symphonie salée. Langenberg 2008 Sucres résiduels : 29 g/l - Acidité tartrique : 6,78 g/l La robe est jaune-vert très claire. Le nez paraît assez fermé mais livre quand même quelques beaux arômes floraux, du miel et quelques notes plus végétales. | ||||||
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Complantation de riesling et de pinot gris Grand terroir de "Graves", l'Engelgarten est l'un des terroirs les plus connus de Bergheim. Sa structure graveleuse, le sol blanc, son déficit hydrique marqué, permet d'obtenir de grandes maturités physiologiques des raisins. Le vignoble, assez âgé, est pioché et conduit avec une extrême sévérité (taille très courte, labour, compostage). La vigne souffre et produit de petites récoltes d'une magnifique complexité. Engelgarten 2007 Sucres résiduels : 17 g/l - Acidité tartrique : 6,49 g/l La robe est à nouveau très claire oscillant entre jaune-or et vert. | ||||||
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Complantation de riesling et de pinot gris Notes du domaine : Première dalle calcaire de la grande Oolithe, inclinée vers l’est, dressée comme une sentinelle face au sud et à la plaine, le Rotenberg est le plus précoce des terroirs de Bergheim. Ses sols rouges, marqués par le fer, profondément calcaires et ce climat totalement solaire rassemblent le Riesling et le Pinot Gris dans ce miroitement d’agrumes caractéristiques, moins confits qu’au Grasberg, mais fins et très élégants. Les Rotenberg sont des vins à boire assez jeunes, frais et aériens, avec cette trame acide citronnée, très aromatique, qui tend son miroir aux poissons les plus nobles, les éclairant d’une magnifique lumière… presque géologique ! Rotenberg 2002 Sucres résiduels : 7,6 g/l - Acidité tartrique : 6,70 g/l La robe est jaune-or nettement plus évoluée. | ||||||
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Complantation de riesling et de pinots Le « sentier des brebis » … qui conduit au Grasberg est un terroir exceptionnel, une mince dalle calcaire de l’Aalénien, perchée au-dessus de la plaine, ultime prolongement du mamelon de l’Altenberg de Bergheim regardant l’est et dont le climat moyennement chaud est marqué par une intense ventilation. Drainé par le vent du nord en été, protégé par le Foehn en automne, ce terroir très pauvre où affleure la caillasse calcaire jaune, permet une véritable expression des fruits de cette vigne très complexe, sans développement de pourriture. Schoffweg 2007 Sucres résiduels : 11 g/l - Acidité tartrique : 6,15 g/l La robe est similaire aux 2007 déjà rencontrés. De même on retrouve le nez qui n’est pas à son sommet d’expressivité. A l’aération, on retrouve des aromes citriques, du floral, de l’abricot, un peu de menthe fraiche. Schoffweg 2005 Sucres résiduels : 37 g/l - Acidité tartrique : 6,50 g/l La robe est jaune-or soutenu. Le nez explose ici par rapport au 2007 avec de la richesse et de la complexité marquée par des aromes de sous-bois, d beurré, de silex, de caramel et de fruits jaunes. Schoffweg 2004 Sucres résiduels : 21 g/l - Acidité tartrique : 6,90 g/l La robe est assez comparable au 2005. Et alors, pour le reste, c’est le contraste : d’un côté il y a, surtout en bouche, une structure magnifique avait un équilibre parfait entre les sucres, l’acidité et le minéral, avec une impression finale de vin sec qui domine. C’est pratiquement la perfection. | ||||||
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Complantation de tous les cépages alsaciens traditionnels Ce vin provient du terroir du Burg, Premier Cru de notre vignoble de Bergheim, dont les caractéristiques géologiques (marnes bariolées du Keuper à rares intercalations calcaires) et climatiques (exposition plein Sud, situation protégée en retrait de la vallée) permettent chaque année l’obtention d’un grand vin puissant, complexe et structuré, de très longue garde, à partir des grands cépages traditionnels alsaciens complantés dans la vigne comme le veut notre ancienne tradition viticole millénaire et qui porte depuis toujours le nom de « gentil ». Burg 2007 Sucres résiduels : 27 g/l - Acidité tartrique : 5,23 g/l La robe est jaune-vert assez clair. Le nez, bien que de nouveau, malgré le carafage, assez fermé, montre pas mal de complexité. On retrouve du fruit, de la pierre, des notes musquées et un menthol avec une pointe de chaleur. | ||||||
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Complantation de tous les pinots En haut du petit col séparant Bergheim de Ribeauvillé, le Huebuhl (littéralement, le lieu précoce et humide), légère dépression doucement inclinée ver le sud, joignant le Gruenspiel à l’ouest et le Rotenberg à l’est, enveloppe d’amandes, de zestes, de gras et de grillé une structure acide profonde marquée par les argiles lacustres froides et des automnes lumineux et venteux qui canalisent et contiennent la Pourriture Noble. Huebuhl 2001 Sucres résiduels : 96,4 g/l - Acidité tartrique : 7,40 g/l La robe est or soutenu et évolué. Beaucoup de puissance et de richesse dans le nez de ce vin. | ||||||
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Complantation de tous les pinots Dominant Sigolsheim, le Mambourg est le coteau le plus précoce du vignoble. Réputé depuis le Moyen Age, de nombreux couvents et seigneurs en étaient propriétaires et lui ont donné leurs lettres de noblesse. Profitant d’une durée d’ensoleillement maximale, son sol calcimagnésique se développe sur les conglomérats calcaires et marnes de recouvrement tertiaire des collines. Cette géologie particulière issue des calcaires oligocènes du Quaternaire, confère au Mambourg une caractéristique très rare, une puissance tannique toujours présente, un arrondi suave de la forme. Notre vigne basse, complantée à 12.700 p/h de la totalité des Pinots, produit entre 15 et 20 hl/ha : les vins toujours parfaitement secs, sont bien sûr d’une puissance parfois exagérée et d’une complexité extrême. Mambourg 2004 Sucres résiduels : 6 g/l - Acidité tartrique : 5,2 g/l La robe est bien dorée, vive. Le nez est bien ouvert sans excès de puissance, avec de belles notes florales, de la tisane, une pointe de tourbe et une légère impression d’élevage Pas d’aromes de gentiane, ici (et c’est tant mieux). La bouche est très intéressante avec une acidité fine, une impression solaire mais sans la moindre richesse en sucrosité. C’est terriblement sec comme vin. Sur la finale, la minéralité s’impose doucement. Je pense que le vin est encore en évolution et mieux vaut l’attendre encore quelques années. 15,5/20 Mambourg 2005 Sucres résiduels : 17,2 g/l - Acidité tartrique : 5,4 g/l La robe est très semblable au 2004. Le nez est encore plus expressif, assez rond avec un côté solaire marqué par l’alcool. On retrouve aussi une belle brochette d’autres arômes comme du charnu, de la menthe et du tilleul. | ||||||
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Complantation de tous les cépages alsaciens traditionnels Ce terroir majestueux est situé au cœur d’un champ de failles géologiques qui mettent en contact des calcaires durs du Jurassique et des marnes du Lias. Ces formations riches en fossiles ont formé un sol argilo-calcaire pauvre, rouge (ferrugineux), riche en roches calcaires où la vigne doit plonger profondément pour trouver son énergie. Le micro climat de l’Altenberg, résultat de son exposition plein sud, de son éloignement du front vosgien et de son isolement face à la plaine rhénane est terriblement chaud, sec et presque surexposé. Les maturités des raisins fréquemment amplifiées par la Pourriture Noble, sont hors normes et imposent la domination du Terroir sur les cépages complantés. Altenberg de Bergheim 2007 Sucres résiduels : 79 g/l - Acidité tartrique : 6,03 g/l La robe est jaune dorée plus soutenu que pour les autres 2007. le nez est d’abord un peu fermé puis s’ouvre doucement sur une belle opulence marqué par des fruits exotiques. La bouche est littéralement explosive : richesse, fraicheur, sucrosité sont à l’unisson. Si le vin paraît encore un peu massif, on sent que la finesse est là. La finale est tout aussi énorme. Très grand vin ! 17/20 Altenberg de Bergheim 2005 Sucres résiduels : 83 g/l - Acidité tartrique : 6,43 g/l La robe est jaune-paille dorée. On retrouve beaucoup d’amplitude au nez avec des fruits exotiques, du raisin de Corinthe, du thé, des notes florales et épicées. Grand ! La bouche est marquée par un équilibre doucereux suave et fin avec une acidité bien en place qui affine bien les sucres. Lentement, surtout en finale, la minéralité s’impose pour nous transfigurer de sa longueur. Tout simplement grandiose ! 19,5/20 | ||||||
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Complantation de tous les cépages alsaciens traditionnels avec prédominance de rieslings et de pinot gris dans une moindre mesure. Le Schoenenbourg, réputé depuis le Moyen-âge est le fleuron du Vignoble de Riquewihr. Les plus grands vins de cette commune naissent sur ce terroir et ont contribué à en faire la notoriété quasi universelle. Ce terroir se distingue par sa topographie : (exposition Sud, situation en fond de vallée, pente forte) et sa géologie très spéciale : marnes irisées et gypseuses du Keuper mêlées plus ou moins et recouvertes par des épandages de grès vosgien). Schoenenbourg 2007 Sucres résiduels : 65 g/l - Acidité tartrique : 5,43 g/l La robe est jaune-clair avec des reflets verdâtres. Le nez est expressif, complexe avec des fruits jaunes, des épices, des notes fumées et des notes de silex. Schoenenbourg 2005 Sucres résiduels : 64 g/l - Acidité tartrique : 6,29 g/l La robe est d’un doré à focaliser l’ensemble de la joaillerie anversoise. Comme pour le 2007, le nez est marqué à la fois par le fruit mais aussi la minéralité : notes fumées, pierreuses, le tout emballé par des épices doux. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on a une irrésistible envie de s’y attarder. Conclusions Avant tout, si vous désirez avoir une dégustation animée où chaque participant a son mot à dire, choisissez les yeux fermés le domaine Deiss, vous ne le regretterez pas… on s’est même demandé si on allait aller dormir… un jour. Pour le reste, si les avis partaient un peu dans tous les sens en début de dégustation, lentement le consensus s’est fait sur les points suivants :
Enfin, et cela rejoint l’esprit du domaine, si tous s’accordent sur le très haut niveau global, les coups de cœur sont très partagés. Le mien va à l’Altenberg, nettement… là où tout a commencé. | ||||||
Questions à Jean-Michel Deiss 1. Avant tout, pensez-vous que la présente dégustation est pertinente dans son but de découvrir et comparer vos différents crus ? Je vous félicite pour la belle dégustation réalisée, beaucoup de choses ont été comprises, vues, remarquées et ceci nous comble de joie et de fierté pour nos terroirs fideles que nous servons avec ténacité : leur rendre la parole reste pour nous un combat, une charge et d’une certaine façon, une chance ! 2. Que pensez-vous de l'influence éventuelle des blogs et forums dans le microcosme "vin" ? Etes-vous sensibilisé à cette sphère du web ? Je suis absolument sensibilisé et passionné par cette sphère, parfois marquée par un manque total de cohérence et de professionnalisme, hélas. Mais c’est le media de demain. Et il a déjà une influence non négligeable sur la planète VIN ! 3. A propos de votre présidence de l'AVA dans le giron de l'Union des Grands Crus Alsaciens ; rappelons que le travail de cette commission était de déficher de nouvelles pistes permettant de faire évoluer les appellations alsaciennes, et ce, entre autres, dans le cadre de l'arrivée des AOP. Sachant que les débats y ont été particulièrement animés, estimez-vous aujourd'hui le bilan de votre investissement positif ? Je n’ai pas s’agissant d’un travail au service de la communauté, à peser le poids de mon investissement personnel! La question est plutôt de savoir si l’AOC Alsace GC a avancé dans sa réforme et son adaptation aux règles de l’AOP. Il est de fait un peu trop tôt pour se prononcer sur le résultat, la situation n’étant pas stabilisée en France. Nous ne savons pas si finalement la France, elle-même respectera les règles de segmentation européennes (pourtant d’inspiration française) ou si la politique du tout AOC se maintiendra comme depuis trente ans, ridiculisant l’esprit des textes et les consommateurs. Les producteurs de GC ont identifié grâce au débat organisé par mes soins les problèmes qualitatifs, les problèmes éthiques et environnementaux, les améliorations nécessaires d’étiquetage ainsi que les questions de protections juridiques et d’homonymie européennes. 4. Dans le même domaine, tout le monde a compris votre volonté d'affirmer le lien cru-terroir, en choisissant de manière unilatérale la complantation pour encore renforcer ce lien. Acceptez-vous, cependant et a contrario, que certains terroirs s'expriment obligatoirement à travers un cépage plutôt qu'une complantation ? Je confirme ma volonté farouche de mettre en valeur et de protéger le lien et la personnalité de chaque terroir GC comme je l’ai fait pour mes vins : aucun consommateur n’acceptera demain de payer un produit revendiquant un caractère et une originalité et qui ne les manifesterait pas lisiblement et finalement dans le verre. Par contre dire que j’ai voulu imposer par la force la complantation partout relève de la fable! Comment peut-on dire des stupidités pareilles alors que certains terroirs n’utilisent qu’un cépage unique et s’exprime très bien ainsi. Reste une question de fond : pourquoi certains terroirs alsaciens qui le demandent ne pourraient pas comme toutes les AOC françaises utiliser des «cépages accessoires» (cépages qui existent dans la vigne et ne peuvent être revendiqués sur l’étiquette : grenache gris dans le sud, petit verdot a Bordeaux, meunier en champagne) alors que les règles AOC nationales le prévoient a hauteur de 10%... 5. A partir des vins du millésime 2005, on voit fleurir l'appellation 1er Cru sur les étiquettes frontales de vos vins. Bien que cela cadre entièrement avec votre vision des vins, qu'en est-il de l'aspect légal de ce type d'étiquettes? Nous travaillons depuis plus de cinquante ans sur la hiérarchisation de l’AOC ALSACE. Depuis plusieurs années nous sommes sans protection juridique et à la merci d’un changement de la politique clémente de l’administration à ce sujet : aucune autre revendication que cadastrale n’est tolérée hors appellation en Europe. | ||||||
6. Notre dégustation a conclu de manière unanime que la différence d'expression de vos vins d'un cru à l'autre est une évidence. en dehors des influences du millésime, mais, même si vous vous en défendez, il reste le sentiment des dégustateurs que vous imprimez une patte de grand vinificateur à vos vins, les marquant ainsi d'une manière assez certaine de votre empreinte. Votre fils étant en train doucement de prendre les vinifs en charge, à vos côtés, pensez-vous que d'ici quelques années, le style de ces vinifs pourrait évoluer ? A mon avis le grand vinificateur vinifie au plus prêt des grandeurs et des limites de sa vendange, de sa vigne, de son terroir. Il sait qu’il est facile de créer des aromes, de déplacer une bouche mais que toujours cela se concrétise par moins d’intégrité et moins de cohérence dans le produit. Le grand vinificateur n’imprime donc pas une marque si cruciale a son vin puisqu’il choisit de respecter la nature, les secrets de sa matière première. Les opérations pré-fermentaires sont bien sûr déterminantes et spécialement le pressurage. S’il est doux et tendre et non suivi de débourbage, les écarts avec les potentialités réelles exactes de la vendange seront faibles : ainsi la vinif de Mathieu diffère peu de la mienne ; tout au plus y aura-t-il dans le futur de toutes petites modifications qui correspondent à des différences de sensibilités et de goûts qui sont tout a fait légitimes. 7. Le Mambourg est un terroir très solaire et de plus votre vin qui en est issu résulte de la complantation de tous les pinots, cépages pas particulièrement connus pour résister aux chaleurs sans exprimer pas mal de sucre résiduels. Si on intègre, de plus, que le vin titre 14° en alcool, comment expliquez-vous que les vins goûtés ce soir, sur ce grand Cru soient parmi les plus secs de la dégustation ? La question du Mambourg est passionnante : Voila le terroir qui reçoit le plus d’énergie solaire et calorifique d’Alsace (source INRA) et qui n’est pas connu pour être beaucoup botrytisé (seulement 5,67% de VT/SGN en volume sur 10 ans, n’en déplaise à certains terroirs qui botrytisent arrivent a produire jusqu’a 40% de VT/SGN sur 10ans (Kessler)). 8. Vous décrivez vos vins du Grand Cru Altenberg de Bergheim comme une complantation de tous les cépages alsaciens. Peut-on estimer aujourd'hui que ces cépages présents le sont en part relativement égales, où y a-t-il encore domination de certains cépages sur le cru ? La complantation n’est pas l’art de mettre les proportions justes mais de réaliser une unité de cette diversité maitrisée. Bernard de Clairvaux, créateur du concept de terroir ne disait-il pas que « la clôture est une Eglise plurielle mais rassemblée ». 9. Considérez-vous l'expression des vins de l'Engelgarten comme une expression classique d'un sol graveleux ? Oui, assez, de par sa minéralité et sa chaleur. 10. Et si, pour conclure, nous vous donnions carte blanche pour nous entretenir d'un sujet qui vous est cher, vous diriez ? Je proposerais un sujet de réflexion pour ceux qui aiment les grands vins : Puisque la civilisation c’est la complexité, nous dit le philosophe, comment maintenir et augmenter cette complexité dans les Grands vins modernes ? Pour en savoir plus Domaine Marcel Deiss |