Saint-Glou 2012 - Aventures en Jura - 1ère partie
Saint-Glou 2012
Aventures en Jura
1ère partie
Cher lecteur,
Avant d’aborder ce texte, sache que tu risques de te retrouver embarqué dans une bien drôle d’aventure où ne figure pas Josiane mais où il y a de la saucisse de Morteau. Mais toi, le vigneron qui passe, soit vigilant… la lecture de ces lignes pourrait t’entraîner dans une compassion à l’égard des blogueurs t’amenant à produire des vins tarés, comme le dit si bien Michel Bettane, et si c’est Michel Bettane qui le dit…. Mais pour te permettre de suivre ce récit qui est à l’odyssée ce que la saucisse est à Monbéliard, oh toi, lecteur qui passe, de nombreuses définitions toutes plus subjectives les unes que les autres émailleront mes propos, car ma plus grande crainte est d’ensuite croiser Josiane et la voir s’écrier avec son accent bruxellois particulièrement fleuri :
« Saint-Glou, qu’est-ce que c’est encore que ce bazaaar, un fois ? »
Pour commencer à comprendre, il faut revenir près d’un an en arrière…
Dans son arrière-boutique, l’apothicaire s’ennuie. Michel Bettane ne lui écrit plus depuis longtemps pour le gratifier de sa prose que seul un linguiste de sa qualité est en mesure de maîtriser, non peut-être. Et quand l’apothicaire s’ennuie, il pense, il rêve et surtout, le plus dangereux des points, il se met à fomenter des coups maléfiques, donc des réunions de bloggeurs plus pervers les uns que les autres.
Et c’est ainsi qu’aidé de son vil binôme, Jean-François Basin, il décide, à l’approche du 1er novembre 2011, de faire renaître des cendres de la Glousphère, Glou, un grand saint oublié qui risque bien de servir de prétexte « ad libation » pour un bon moment.
Vil : définition
Vil de « Vil Coyote » (Wile E. Coyote en V.O.) est le prénom d’un personnage de bande dessinée créé par Chuck Jones. Canidé looser, génie décharné, Vil invente en permanence de multiples outils pour capturer sa proie unique, l’oiseau échassier « Bip, Bip », mais, de par ses échecs obligatoirement répétés, il paie toujours très chers ses pulsions obsessionnelles. Toutefois, malgré ses nombreuses chutes dans des gouffres sans fin, malgré ses maintes explosions façon puzzle, il ne semble jamais être découragé, ce qui fait son charme.
Vil est passé en 2012 dans le langage vinique pour désigner le bloggeur amateur de vins tarés et qui de surcroît n’est pas présent au dernier grand Grand Tasting avant la fin du monde, Fuck the Mayas. Le Grand Tasting est une manifestation boisée sous le Louvre de Paris où le carrousel des étiquettes tourne, tourne et jamais ça s’arrête.
Vil désigne aussi un caviste, Jean-François Basin, en l’occurrence (mais il y en a d’autres), dont le pervers métier est d’écouler à prix indignes (entendez abordables) les vins tarés objet d’un culte chez les vils blogueurs.
Vil qualifie enfin, le vigneron, qui malgré tous les avertissements des personnes les plus qualifiées ont sombré dans l’odieux élevage des vins tarés, ne souffrant jamais que l’on soufre leurs divins liquides, ou alors, vraiment à peine. Parmi les personnes qualifiées, permettez-moi de citer Nicolas de Rouyn, c’est pas commode d’être à la mode quand on est bonne du curé, rouin, rouin, rouin.
Il ne faut pas confondre Vil Coyote et Cancoillotte du Matin.
Voici donc en l’an de grâce -1 avant « The Great Mayas Swindle », les deux compères précités rameutant la vierge et l’orphelin à Bruxelles, soit moultes bloggueurs aux noms aussi chantants que Eva Robineau, Antoine Gruner, Laurent Lalouette, Philippe Bon et surtout le plus dangereux des terroiristes de vins tarés, Olivier Grosjean, never mind the Bollocks, here’s the Tarés Pistols. De cette première série de libations en l’honneur d Glou, Saint parmi les Saints, sont nées quelques très beaux moments d’anthologie, quelques portes froissées et surtout une belle dose d’amitié, principe actif qui n’a pas besoin de dynamisation puisqu’il est par huile essentielle, dynamique au même titre que l’Ovomaltine. (Vous pourrez retrouver ces moments sur Oenos à Eva le blog d’Olif ou encore sur ce blog.)
De cette première volée de quilles plus tarées les unes que les autres, mais aussi de celle qui a suivi et qui fait quand même l’objet du présent article, certains grands historiens de la glousphèreo nt émis des définitions sur l’objet même de la chose, définitions que je vous livre ici sans retenue :
Olivier Grosjean : Fraichement canonisé à Bruxelles, Glou, Saint-Patron des buveurs, méritait bien qu'on lui souhaite sa fête. Officiellement absent du calendrier, Glou devrait désormais être fêté avec tous les autres Saints, début novembre.
Eva Robineau : La Saint-Glou fête en l’honneur d’un saint patron tout droit sorti de la tête d’un suisse pratiquement bruxellois fan de l’Alsace. Une fête du bon vin, en fait.
Olivier Grosjean : tournante où l'on regarde sous les robes des quilles et au cours de laquelle on canonise le patron des buveurs. Une fête qui se souhaite avec celle de tous les Saints, début novembre, et qui réunit la fine fleur de la Bloglouglou.
Les choses sont évidemment ainsi plus claires, non
Toujours de cette première et seconde volée est née une charte que se doivent désormais de respecter les adeptes du bon grand Saint. A ce titre le clergé du Glou tient à remercier Mademoiselle Robineau, Eva de son prénom (et oui, encore elle) à qui l’on doit la rédaction de la chose. Pour ce service rendu, elle a été upgradée de Disciple 1.2 à Apôtre 1.0.
Le Bon Saint Glou, tu honoreras
À la Saint-Glou chaque année, tu te réuniras
Bonjour l’Amour, tu pratiqueras
Des palettes de Cantillon, tu ramèneras
Entre couilles, jamais tu ne seras
Pas moins de 10 à table, tu seras
Pas plus de 6 heures, tu dormiras
Pas moins de 20 vins par jour, tu t’enfileras
De Saucisses de Morteau, tu te gaveras.
La Cancoillotte du matin, tu mangeras
Même le Edge, tu ne capteras pas
Des palettes de Cantillon, tu ramèneras
Pour donc respecter l’acte 2 de la présente charte, il fallait donc qu’une âme sensible prenne, pour 2012, le relais du Monomaniaque Taré et de son Vil pote caviste. Et c’est du fond du Jura vinique, large territoire dont l’intérêt s’étend principalement de Pontarlier à la Combe de Rotalier en passant par Arbois, c’est donc du fond du Jura, qu’est venu l’organisateur attendu de tous, Olif, et dont la mission « périlleuse » était donc de nous faire découvrir ce Jura vinique et gastronomique et surtout ces fascinants humains qui le peuplent, le tout, comme le veut la Sainte Charte, à coups de Cancoillotte, de Morteau, de palettes de Cantillon, de tables kilométriques, kilométriquement achalandées de quilles, à coups, enfin, de peu de sommeil et de beaucoup d’éveil.
Le camp de base fut déterminé par l’organisateur jurassien et sis à Salins-les-Bains, village, qui, enserré entre deux forts, ne manque pas de sel et qui de par sa situation centrale à un jet de pierre d’Arbois était une sorte d’évidence en terme de lieu. Un lieu restant un lieu, même si le bar en est un autre. Pour en savoir plus, reprenons ici les saintes paroles du disciple Olif, désormais lui aussi upgradé en Apôtre 2.0 :
En 2012 après Jésus-Christ, Salins-les-Bains est devenue totalement mythique, pour avoir accueilli le camp de base des adorateurs de Saint-Glou, qui, comme chacun sait désormais, se fête avec tous les autres Saints. Glou, saint patron des buveurs, a donc élu domicile temporaire au pied du Mont Poupet, haut-lieu du vol libre et, désormais, du vin libre. Pour une canonisation rituelle et annuelle dans les règles de l'art, une large et belle victoire digne de Jules César. "La Saint-Glou 2012, j'y étais!" pourront dire en 2052, la larme à l'œil, les survivants, encore poilus ou pas.
Salins-les-Bains (Photo Olif)
Pour cette deuxième édition qui s’annonçait comme titillant la demeure des dieux, de nombreux assoiffés avaient répondus présents, en profitant pour grossir les rangs de ce qui risque de devenir au fil des ans une sorte de Woodstock du Glou. Le coup de fraicheur supplémentaire est la féminisation intense du groupe, ce qui n’est pour déplaire à personne. Aux côtés des incontournables organisateurs, Olif et Madame Olif, nous comptions donc, pour les Fiiiiilles, Eva Robineau (Oenos), Sonia Lopez Calleja (Vin de Presse), Samia Iommi Amunategui (Cuisine et Sentiments), Laetita Laure, Solenne Jouan (Vivant), Justine Liegeois (Dealers de Vin), Catherine Riss (vigneronne, Alsace) et pour les Messieurs, Antoine Gruner (A Gauche, au fond du Bistrot et Dealers de Vin), Antonin Iommi Amunategui (Vindicateur et No Wine is Innocent), Laurent Martin (Oenos), Jean-Pierre Rietsch (vigneron, Alsace), et enfin, pour la Belgique, où le fait de boire est asexué politiquement, Hugues Génard (VDVs Brusseleirs), Fred Verhulst (VDVs Brusseleirs et Vin Naturel .be), Jean-François Basin (VDVs Brusseleirs et Basin & Marot Wines) et votre Serviteur. On a même eu droit au passage, discret, de David Faria (Bicéphale Buveur).
Autant dire qu’on a très peu parlé bagnoles et tricot…
A Salins-les-Bains, donc. Et plus précisément à la Maison Salines, sublimissime maison d’hôte aux murs qui atteignent les astres. Alliant charme du début du siècle passé au confort des plus modernes, il s’agit là réellement d’un lieu de rêve, permettant largement à toute la congrégation des disciples de tenir petit-déj-briefings et afters-debriefings de haute volée, quand ce n’est pas pour aller à la rencontre de la cancoillotte, du Mont d’Or, du Comté ou de la saucisse de Morteau.
Par soucis de sécurité, les plus ronfleurs des belges avaient été envoyés passer leurs maigres heures de sommeil, en face, à l’Hôtel des Deux Forts, et à raison d’ailleurs. De fait, on ne saura jamais s’il y eut lieu d’attribuer le séisme à la chambre 21 ou 23, mais toujours est-il que l’alarme anti-tsunami se déclencha dès la fin de la première nuit, ce qui permit au belges sociétaires des lieux d’admirer ce qui se fait de mieux, en 2012, en terme de robe de chambre. A dire vrai, la vénérable Maison Salines, malgré ses murs d’un mètre de large, aurait-elle résisté de telles vibrations ?
Bon… pour y voir plus clair dans la suite de ce fabuleux récit, je vous propose dès la ligne suivante une évolution chronologique.
Jeudi 1er novembre – Mise en forme(s)
Après la mise en place de ces dames et de ces messieurs dans le logis précité, le groupe prend la direction du sémillant village d’Arbois où tout, sauf la pluie (enfin, en Belgique, on dit la drache) qui dès la tombée du soir nous la joue battante, où tout, donc est dédié au Chardonnay, au Savagnin, au Trousseau et au Poulsard. Impressionnant. Avec une précision du nouveau monde, l’alternance Point de vente de Vigneron et Restaurant-Bar à Vins y est redoutable. A ce titre, tous nos remerciements vont à la maréchaussée locale dont l’étonnante bienveillance et la discrétion hors normes nous a permis de perpétuer nos allers et venues de la plus tranquille des façons. En même temps, pour rouler à travers les gouttes, fallait oser.
Pour cette première soirée, c’est le Bar à Vins « Les Jardins de Saint-Vincent » qui nous ouvre ses portes avec en special guest stars, trois des producteurs marquants de la jeune génération de vignerons jurassiens, soit, Charles Dagand du Domaine de l’Octavin, Renaud Bruyère du domaine éponyme et Alexis Porteret du Domaine des Bodines, le tout sous le haut commandement de Julien, le maître des lieux, Stéphane Planche, ayant dû s’absenter.
Charles Dagand de l’Octavin et Julien des « Jardins » (Photo Olif)
Côté Octavin, le groupe a apprécié la maîtrise des vinifs plus particulièrement sur le Pamina 2009, une véritable bombe de glou tarée.
Alexis Porteret des Bodines (photo Olif)
Côté Bodines, Alexis Porteret nous amène à la rencontre de messieurs Poulsard et Trousseau en 2012, avec des jus encore terriblement jeunes mais dont la sapidité laisse augurer des avenirs des plus buvables. A retenir sans nul doute.
Renaud Bruyère (photo Olif)
Le gros coup de cœur de la délégation belge va à Renaud Bruyère où l’entièreté de ce qui nous a été présenté était à mettre à genoux. Si l’Arbois Blanc 2011, désormais introuvable, a ému, c’est surtout le Trousseau 2011 dont quelques quilles ont pu rejoindre notre coffre qui nous a littéralement impressionné. De la bombe et cette bombe, on la retrouvera sous peu chez le père Basin…. en attendant la prochaine éclipse de lune….
Une première très belle soirée menée tambour battant avec des jeunes vignerons épatants, tous caractérisés par une envie de dialoguer ouvertement sur leur vin. Renaud me demandait à la sortie s’il y avait quand même un vin qui avait déplu, impossible de lui répondre…
Coup de chapeau aussi à l’équipe des « Jardins » grâce à laquelle nous n’avons jamais eu faim, alors que les flacons dansaient sur les tables… et le tout pour un prix des plus démocratiques… Encore !
A noter aussi, cette très belle rencontre avec les gestionnaires de la librairie-cave à vins «Les Gourmands lisent » à Besançon, un concept qui mélange agréablement l’œil, le nez et la bouche…
Et puis retour aux Salines… pour se jeter quelques Cantillon, dont cette Gueuztraminer qui a fait tant jaser, bien que ni Michel Bettane, ni Nicolas de Rouyn ne l’aient goûtée. Quel dommage…
Vendredi 2 novembre – Savagnin’s day
Le Boss avait dit : « Vendredi, c’est Savagnin !» avec au programme Stéphane Tissot, une petite pause frugale, Laurent Macle et soirée vieux savagnins à « La Balance », à Arbois… Rien que ça.
Formalités du Petit-Déj accomplies, nous partons donc vers Montigny-les-Arsures à la rencontre de Stéphane Tissot. C’est un vigneron particulièrement enjoué (tout heureux d’encaver quelques raretés cantillonesques dont la Zwanze 2012) qui nous reçoit aux portes de son domaine. Question d’avoir l’énergie suffisante pour arpenter le sommet des Bruyères (distant de 150 m avec 1° de pente, environ), on se fait d’abord une petite mise en jambes dans la salle vouée aux dégustations. Au programme, le Crémant du Jura « BBF » 2006 qui après une très légère fermeture à l’ouverture balance une matière superbe, une tension solide et pure, le tout avec une grosse longueur au programme… de la Balle ! Le Crémant Extra Brut Indigène qui suit a pris sa mousse avec du vin de paille et il ne démérite pas par rapport à son prédécesseur, surtout pour sa tension et ses bulles avec une impression globale de vin très sec.
L’esprit ainsi pétillant, la montée vers le lieu-dit « En Muzard » peut s’accomplir sans encombres et nous permettre d’admirer, sous le soleil exactement, les petits mamelons marneux qui constituent la grande majorité du paysage. A certains endroits le calcaire se fait présent en petites incrustations alors que sur notre gauche, la colline des Curon bombe le torse, elle où le calcaire domine. Avec des expositions assez variées, la vigne tapisse joyeusement ses collines que les Alpes ont formées en poussant sur la Bourgogne et en gratifiant ainsi le sol d’un mélange de marnes rouges, jaunes, bleues, blanches et irisées.
A l’inverse de ce que l’on pourrait croire, Stéphane Tissot nous explique, à l’exception de Curon, que les acidités des vins sont plus vives là où l’argile domine, probablement conséquemment à la rétention des basses températures locales par le substrat argileux. Mais c’est quand même bien sous Curon que les acidités sont les plus tranchantes., nom d’un Glou ! Autre caractéristique de ces sols sont les phases de réduction par lesquelles passent les deux grands cépages blancs, particulièrement le Savagnin, dans leur prime jeunesse.
Le décor mis en place, retour en salle de dégustation par un petit balayage des trois terroirs principaux avec du Chardonnay, façon très logique, après tout, d’aborder le Savagnin. Il y a vraiment du belge dans le sang jurassien, j’en ai bien peur !
Avec les « Graviers 2010 », on est sur des éboulis calcaires surplombant des argiles du lias. Malgré une très gosse sensation de caillou, genre voyage au pays des Flintstones, le vin se fait plus gras que tendu. Barberon 2010 est lui pleinement originaire d’argiles du Lias. Comme pour donner raison au patron, si la sensation de pierre est encore dominante, la tension est clairement dopée, presque rustique. Le fruit est présent, ample mais plus on porte le vin en bouche, plus il se fait sec et minéral. Superbe complexité, en fait ! Avec le Clos de la Tour de Curon 2009, on passe à des calcaires jaunes en sous- sol sur lesquels reposent des cailloux calcaires en surface. Si le vin paraît moins ample en bouche, c’est pour laisser la place à une acidité plus noble, très salée, la délicatesse étant relevée par un très beau floral. La finale est précise, claquante. Ce vin est une vraie perfection.
Petites digressions ensuite, toujours sur chardonnay, c’est vrai, après tout pourquoi se priver… sauf que tout cela commence à sentir la dégustation d’anthologie…
Première des digressions avec la Mailloche 2006 (argiles du Lias, très dégradés) dont le nez démarre en pierre à fusil avant de foncer sur le fruit. La bouche présente une grande finesse qui alliée à l’impression de fruit croquant. En deuxième salve, le Barberon 2000 joue des coudes avec son grand nez, complexe, plus évolué, plus ample, mais toujours très pierreux. Totalement sans soufre à la mise, la bestiole fait preuve d’une grande finesse et d’une précision évidentes, même si le millésime, plus solaire, nous gratifie de plus d’amers en finale.
Plus tard, mais autant l’associer à ses petits camarades, on a eu droit au Clos de la Tour de Curons 2004, tuerie totale de minéralité saline, bombe de fraicheur et long de la mort qui tue. Certains feraient bien la moue sur le prix, mais quand on goûte ceci et qu’on porte le regard sur la Bourgogne d’en face, on revient très vite à penser l’incontournable de ce divin liquide.
Après tout cela, il y en aura toujours pour nous nommer dans notre passion de terroiristes débiles, mais à ceux qui prônent le déni absolu de l’influence constitutive du sol, il faudra quand même qu’on m’explique, comment le vigneron peut à ce point être perfide pour, en fonction de ses parcelles, sortir un travail différent sur chaque vin, dans le seul but de nous aveugler et nous laisser tendrement dans nos petites croyances. Bien sûr, quand les maîtres veulent nous faire avaler la couleuvre que sans bois marquant, il n’y a pas de grand vin… Mais donc, face à cela, débilement terroiriste je resterai, préférant écouter Stéphane Tissot parler de l’influence de ses sols et lire pour la énième fois, « la terre, le sol et les champs ».
Retour aux Savagnins…. Que nenni…. Rien de tel entre deux cépages blancs de faire un petit break de Poulsard Dédé 2011 et 2012, le second étant tiré du fût. Et si le second, justement est encore fermé à donf, l’autre-là avec sa carbo, il est dans le registre du grand buvable à jus magnifique, sans le moindre soucis.
Bon allez, lentement mais sûrement on y arrive au Savagnin, cible du jour..
Faut que j’avoue, qu’avant ce séjour, même si j’avais eu quand même quelques rencontres du 4 e type avec l’oiseau savagnin, je n’aurais quand même pas osé prétendre que je maîtrisais, même de la plus infime des manières, la bestiole en question. Alors en présence du « Boss » de Pontarlier et de Stéphane Tissot, j’avais plutôt tendance à la jouer très au ras des pâquerettes. En plus, serez-vous d’accord ou non, il est quand même plus facile d’aborder un chardonnay bien boisé de Bernard Magrez qu’un Savagnin, même royal, ce cépage possédant une espèce de profondeur qui fait pas mal s’entrechoquer les neurones.
Rencontre du type : Définition
Rencontre du 1er type : lire un texte de Parker
Rencontre du 2e type : écouter une interview de Bettan
Rencontre du 3e type : parler avec Olivier Grosjean en admirant les tableaux de Madame Olif
Rencontre du 4e type : boire un vin
Question de me rassurer, on attaque par Traminer 2011, un Savagnin jeunes vignes, 100 % en cuve. Objectif fruit tendu pleinement réalisé, avec en plus du gras, du floral et de beaux amers, ça se boit tout seul. Un des savagnins les plus joyeusement juteux que j’ai rarement goûté…. Et largement de quoi balayer d’un coup mes idées préconçues. Le Traminer 2010 qui suit est plus complexe, plus profond, avec des amers plus structurés et une acidité moins joyeuse mais plus élégante. L’impression de structure est plus sensible…. Il est vrai que ce vin a connu un peu de foudre…. Oulà, MichouBichou aurait-il raison ? Oui, je sais, MichouBichou a toujours raison, c’est Vindicateur qui l’a dit, la bonne du curé, aussi…. Quant à Josiane, elle….
Avec le Bruyères 2010 qui suit, on monte encore en matière, en extrait, les 15 grammes embarqués apportant un peu de gourmandise à un vin qui serait autrement probablement très sec. Gros potentiel de vieillissement en vue.
Nouveau break pour nous permettre la descente à la cave, bien qu’en Jura, on descend rarement en cave, on monte même souvent, la faute aux températures moyennes probablement…. Enfin, dire qu’on descend rarement en cave serait aussi abusif, vu ce que Stéphane Tissot nous a fait descendre.
Parmi les nectars qu’on nous a fait descendre, il y eut d’abord un assemblage de parcelles qui sera destiné plus tard au voile, et qui, à ce stade, est quand même difficile à appréhender, puis sur les 2012 on a eu droit à 5 terroirs à jaune tous voués aussi à l’oxydatif. On est resté assez bluffé par les différences évidentes entre chaque cuvée, celle issue de « En Spois » laissant une impression de droiture et de fraicheur énormes malgré les quelques sucres présents au bal, et par celle issue de la Vasée ou la matière et la minéralité sont gigantesques même si une légère réduction est encore présente.
Avant de retourner en salle dégustation pour attaquer les voiles, un petit passage didactique s’impose pour nous permettre d’admirer grâce à nos Smartphones ce linceul mythique.
Mais avant le voile, rien de tel qu’un petit Trousseau 2011 qui avant de séjourner 5 mois en fût a connu l’amphore pendant 6 mois…. En dehors de sa gourmandise évidente, ce vin se démarque des autres rouges déjà goûtés ici et la veille par une finesse évidente dans la matière et les tanins. Comme un lancinant rappel que ce contenant sera peut-être celui du 21e siècle, en tous cas chez les vignerons qui se sont fait embobiner par les blogueurs tarés pour produire des vins tout aussi tarés.
Toujours dans le domaine de l’amphore et hors voile, le Savagnin 2010 qui suit et qui a connu l’amphore lui aussi 6 mois possède déjà une forte complexité mais dans le registre de la finesse et du soyeux…. Et puis, il y a ces notes d’orange confites… magique !
Enfin, dans la même catégorie, mais hors amphore le Savagnin 2008,assemblage de parcelles est terriblement vif. Marqué par l’oxydation son côté noix-sec est intense mais à tout moment sa matière superbe interpelle.
Du bal des savagnins qui ont encore suivi, on a retenu :
- Le Vin Jaune des Bruyères 2005 : balsamique, assez sec, tellement puissant et tellement long.
- En Spois 2005 : presque complètement à la finesse superbe
- Vasée 2005 à l’acidité densément tourbée, au relief sec si typique
- Savagnin 2005 sans voile, sec à mort, concentré, épicé, salin avec du caramel et du beurre salé, magique.
Et puis, il y a eu un de mes gros coups de cœur du séjour, avec cette Cuvée Mélodie 2004 issue de savagnin de glace à 100% vendangés le 22 décembre par -11°C. Comment un vin partant de tant de sucre dans sa matière peut arriver à tant de juteux, de buvabilité…. C’est fascinant !
Des Grains Nobles, des Passerillés, MacVin ou même la bière FH qui ont encore et toujours suivi pour atteindre plus de 30 cuvées au programme, de quoi rendre jaloux les meilleurs gaillards alsaciens, il y en a encore une qui m’a captivé, ému, c’est ce Savagnin Dévoilé 2005, un savagnin qui n’a jamais réussi à faire son voile, avec ses notes de blé étonnantes et sa bouche tellement buvable malgré une acidité gigantesque.
Dire après tout cela que j’ai beaucoup compris, difficile à l’avouer, de fait. D’abord, parce qu’en dehors de la générosité et de la puissance, il est difficile de qualifier ses vins dont l’amalgame ressemble à un vrai feu d’artifice de saveurs plutôt qu’à un bouquet uni, Stéphane Tissot ne reculant jamais à aller chercher des vins au bord de l’impossible, le tout dans un bonheur rayonnant. Fraichement rentré de vacances, il a été lui-même un vrai feu d’artifice, prenant autant, si pas plus de plaisir que notre groupe, vraiment impressionnant et tellement humain.
Désintéressé aussi, puisque rien ne peut être acheté au domaine.
Un tout grand moment, un de ces moments qui nous rappelle qu’il ne nous revient pas à nous, bloggueurs d’interpréter ou de juger, mais juste de rendre compte de nos émotions, de nos joies et de nos plaisirs. Une de ces moments qui vous transforme définitivement une bouteille en véritable Madeleine de Proust…
Juste fermer les yeux… et un dernier verre de Curons 2004…
On sort de ces 4 heures de dégustation un peu vidé, tellement des flux d’énergie nous ont traversé, un peu comme des jambes molles sous le contrecoup d’une grosse décharge d’adrénaline.
Ça tombe bien, le Boss a pensé à remettre les batteries à niveau en nous ramenant aux Salines pour y attaquer un cocktail de Cancoillotte de la Maison Poitrey, de Mont d'Or de chez Petite, fruitière des Jarrons, de Patates du pays des patates et bien sûr de Morteau… Un repas bien de région, région où on arrache la page des dictionnaires contenant « frugal », vu son côté tellement obsolète in situ. Ce genre de mets délicats qu’en plus de l’arrosage à la Cancoillotte chaude, on arrose de moultes quilles à grosse buvabilité (dont un Chignin 2009 Cuvée des Gueux 2009 de Berlioz, celui qui fait les Filles), il y a de quoi déstabiliser même ceux qui ont fait 6 mois de camp de gastronomie extrême au pays des belges. Et comme, en plus, la jeune Eva était passée par le prince Conticini de Paname, ses gâteaux font office de cerise sur l’édifice calorique.
Photo Samia Iommi Amunategui – Cuisine et Sentiments
Après cela, il fallait repartir à l’assaut du Savagnin pour rejoindre Laurent Macle sur les hauteurs de Château-Chalon… C’est là qu’on se rend compte que « chauffeur de glouglouteurs », ça frise l’apostolat, surtout que puisque le soleil s’apprête à se coucher, le ciel, amusé de notre état décide de remettre cela avec un nouvel épisode de grain jurassien qui ne laisserait même pas indifférent le plus stoïque des britanniques.
Mais la destination rend les cœurs hauts et après avoir réveillé l’entièreté des passagers pris par un besoin étonnant de sieste on board, disciples et apôtres pénètrent dans un des 4 piliers de la religion, l’antre des Macle, où Laurent, faisant office de génération actuelle, nous reçoit fort sympathiquement.
Comprenant à la vue rebondissante de certaines bedaines qu’il y a lieu de faire un peu d’exercice, on commence la visite par un marathon en cave et on se dit, arpentant ces lieux sans fins, ne quittant pas le guide du regard, de peur, dans une allée de tomber sur les ossements d’ un quelconque amateur qui aurait perdu son Ariane parmi les 530 fûts de ce temple du voile, ce temple d’un vin jaune qui n’en est pas simplement un, puisqu’il se nomme ici Château Chalon. Car c’est bien sur les pentes de cette montagne, faite d’éboulis argilo-calcaire sur un socle de marnes bleues que le Savagnin est roi, même si le Chardonnay y est toléré dans l’Appellation Côtes du Jura, en assemblage avec du savagnin, quand même, on ne sait jamais.
Photo Sonia Dégustation (Vin de Presse)
Parmi la petite vingtaine de quilles offertes en pâture, j’ai retenu pour la mise en bouche, le Côtes du Jura ouillé 2008 très majoritairement chardonnay pour ses côtés énergique et claquant. Côté oxydatif, le Côtes du Jura Tradition 1979 est d’une grande puissance et d’une noblesse tout aussi grande. On est sous le charme de sa bouche très vivace à la fois au fruit citrique énorme et aux notes de torréfaction. Sur Château Chalon, c’est comme pour Olif, le 2005 l’emporte face au 2004, de par l’équilibre profond entre son acidité, sa rondeur, sa profondeur et ses subtiles notes balsamiques. Un monument encore jeune qui va en faire tomber des râteliers de glouglouteurs, dans 25 ans.
Le Château Chalon 1982, dégusté en finale, encore totalement en devenir mérite un retour dans une dizaine d’années, tant il paraît encore fermé à ce jour.
Cela étant, malgré la grande gentillesse de Laurent Macle, le soutire de sa petite fille, malgré la qualité des vins, le groupe ne ressemble, en fin de dégustation, que très peu à un Carioca en mal de Carnaval. On sent comme une chape de plomb qui s’est abattue sur les épaules de la majorité d’entre nous, explosés façon puzzle par tout ce qui a précédé. Et ce n’est pas le Macvin 2007, avec son tiers de Marc ou encore la fraicheur de la cave qui arrange l’état des troupes. J’espère que cet état physique n’a pas paru à notre hôte traduire une forme de désintérêt parce que ce n’était certainement pas le cas. Seul presque à résister, vaillant comme un roc, le Boss de Pontarlier qui ne s’en laisse aucunement compter.
A ce stade, c’est clairement Jura 1 : 0 Belgique
En sortant, la nuit est noire, la pluie toujours aussi battante… et pourtant, ce n’est pas fini, non peut-être. Pour terminer ce Savagnin’s Day, il nous fallait encore rejoindre Arbois pour confronter Vin Jaune mature au Coq, lui-même au Vin Jaune, et ce, au restaurant la Balance, bastion de Thierry Moyne.
Comme il est bien connu que l’appétit vient en mangeant et que la soif sourit au buvant, est-ce de retrouver nos postérieurs sis sur une chaise accueillante, mais d’emblée les gris nuages de la fatigue s’estompent à la vitesse d’un TGV et très vite l’ambiance prônée par le bon Grand Saint-Glou retrouve tous ces éclats. Faut dire qu’aucun nuage ne résiste à l’apéro avec un Pupillin 2011 du tandem Pierre Overnoy et Emmanuel Houillon, particulièrement en rafale de magnums.
Et puis commence le festival jaune, en entrée avec un « Beignet de truite de la Petite Montagne à la farine de tempura, sauce nuoc-mam Vin Jaune » et en suite le Prince Coq au jaune.
Coq au Vin Jaune : Définition Grosjean all rights limited
Le Coq au vin jaune est mijoté et servi en cocotte. Du bonheur pour un coq. Quasiment en pâte. Il s’accompagne à table de vins jaunes, j’en ai bien peur.
Ceux qui accompagnèrent truite et coq du jour, du moins dans le verre sortaient de la cave du Boss de Pontarlier, celle qui, à la suite d’un subtil détour par ma Suisse d’origine, m’a été révélée telle la parole divine au sommet du Sinai. Certains de ces flacons en avaient patienté des années en cave avant de recevoir l’invitation du Bon Saint.
Il y avait par ordre d’apparition L'Étoile 1990 du domaine de Montbourgeau, un Arbois 1987 de Camille Loye, un Château Chalon 1986 du Domaine Berthet-Bondet, un Arbois Vin jaune 1988 de Jacques Puffeney, un Arbois Vin jaune 1996 du Domaine de la Tournelle et enfin un Arbois 1999 de Michel Gahier.
Tous avaient évidemment leurs charmes sauf peut-être le Vin Jaune du très estimé et estimable Domaine de la Tournelle qui ce soir-là n’était pas parfaitement en place. On a retenu le Berthet Bondet 1986 pour sa typicité, sa générosité, les notes mielleuses étant un ravissement sur cette belle matière. Mais, c’est surtout, à l’unanimité de la table et malgré l’état avancé du repas, cet Arbois 1999 de Michel Gahier qui a gravi la plus haute marche du podium du fait, principalement d’une buvabilité totalement imprévisible pour un Vin Jaune. A noter que tout cela se mariait à merveille aussi, sur les desserts, dont le redoutable clafoutis aux abricots.
Après tout cela, plus d’idée de l’heure, plus d’idée de la réalité de notre corps, juste une tentative de survie pour trouver le dernier bozon d’énergie dans nos batteries pour rentrer aux Salines…. Par humour plus que par raison, on se jette quand même quelques dernières quilles dans le grand salon de la grande bâtisse, question d’expliquer aux jeunes gaillards que quand, suite au programme de gladiateur du jour, tu crois que t’es arrivé au bout de ta vie, tu prends quelques Cantillons et ça repart.
Déjà, on pense au programme du lendemain…. A peur… chaque seconde de sommeil sera critique. Mais il a de fortes chances que ces secondes fussent émaillées de rêves de Bruyères, de Marnes bleues…
Bon, la suite, c’est la deuxième partie qui suivra dans quelques heures ou jours, avec l’accueil d’Emmanuel Houillon et son énergique moitié au Domaine Overnoy, avec un chef biconstellé qui ne rêve que de Cantillon et de choucroutes alsaciennes et avec un très périlleux déplacement dans la Combe de Rotalier, une équipe entrainée par Fanfan Ganevat qui reste sur une impressionnante série de victoires.