La vita è bella con Nebbiolo al Caffè al Dente
La Vita è Bella
con Nebbiolo al Caffè al Dente
Bien que ce blog s’appelle « Monomaniaquement Alsace », il ne sera passé inaperçu à personne que face aux merveilleux blancs de l'Est des Vosges, mon cœur se situe aussi largement en Italie, fasciné que je suis de plus en plus par les « Vini Naturali d’Italia ».
S’il serait complètement stupide d’ignorer des régions de la botte moins distribuées, il est clair que les occasions ne manquent pas de goûter ces vins de la famille « naturels » lorsqu’ils sont issus de Toscane ou de Sicile.
On peut en dire de même avec le Piémont, surtout, en Belgique grâce, entre autres, au gros travail de Wim Bunnens de l’Enoteca Cantucci et de Michele et son équipe du Caffè al Dente, que ce soit au niveau de son Enoteca ou de son Osteria.
Mais par rapport à la Toscane et la Sicile, il faut reconnaître que dès que l’on quitte les vins abordables comme les géniaux Barbera de Brovia ou Trinchero, et que l'on veut regarder du côté du Nebbiolo, on peut avoir une grosse hésitation à investir... à cause des prix. Ceux-ci sont en effet assez élevés, mais rien qu'au vu des rendements du cépage, finalement extrêmement modérés par rapport aux plus réputées régions de France.
Il est donc un fait que s’il l’on a l’occasion de pouvoir se réunir pour les goûter, c’est forcément la première voie à suivre pour les goûter dans le calme.
Dans cette optique, je suis allé à la rencontre de Michele, pour que, fort de son expérience dans le domaine, il nous propose un repas-dégustation dans son antre du Caffè al Dente, où on passerait en revue une brochette incontournable de ces « Nebbioli Vivants », soit par ordre d'apparition :
1. Ar.Pe.Pe - Rosso di Valtellina 2009 (DOC - Lombardia)
2. Brovia - Nebbiolo d'Alba « Valmaggione » 2009
3. Bartolo Mascarello - Langhe Nebbiolo 2009
4. Giuseppe Mascarello - Langhe Nebbiolo 2008
5. Bruno Giacosa - Nebbiolo d'Alba 2007
6. Piero Busso - Barbaresco "Mondino" 2009
7. Luca Roagna - Barbaresco « Vecchie Vigne Asili » 2007
8. Luca Roagna - Barbaresco « Vecchie Vigne Montefico » 2007
9. Luca Roagna - Barbaresco « Pajé» 2004
10. Giovanni Canonica - Barolo "Paiagallo" 2008
11. Ferdinando Principiano - Barolo "Ravera" 2007
12. Giuseppe Rinaldi - Barolo "Cannubi San Lorenzo" 2006
13. Andrea Oberto - Barolo 2005
14. Bartolo Mascarello - Barolo "Cannubi-San Lorenzo-Rué-Rocche" 2004
15. Cappellano - Barolo "Piè Rupestris" 2001
Quant à les boire, ces trésors, sans bonne chère, difficile à concevoir, puisqu’il s’agit là de vins clairement de gastronomie, en est-il d’ailleurs autrement, en Italie ?
Et pour cela, le Caffè al Dente a répondu à la perfection présent pour nous proposer toute l’étendue de sa cuisine, directe, jouissive et roborative et encore relever le niveau des vins.
Sans oublier évidemment le chef d'orchestre de la soirée, Federico Mazzoni, le seul sommelier que j'écoute les yeux fermés, un vrai artiste !
Antipasti Misti
1. Ar.Pe.Pe - Rosso di Valtellina 2009 (DOC - Lombardia)
On attaque les festivités avec ce Nebbiolo des hauteurs de Lombardie à l’Est de Pergamo issu d’un domaine en bio qui a les faveurs du Slow Wine 2013.
D’emblée, malgré une évidente marque d’élevage ainsi qu’une légère solarité, le nez s’affirme superbement avec des notes sanguines et florales captivantes. L’ensemble est particulièrement bien homogène, le temps ayant déjà permis aux composants divers de s’entrelacer.
La bouche ne dépareille pas, équilibrée, suave, avec beaucoup de fruit, de café et un peu de caramel, ce qui est de bon ton, vu les tanins assez serrés et secs. Et puis, il y a cette très belle sensation de buvabilité. On ne pouvait mieux démarrer !
2. Brovia - Nebbiolo d'Alba « Valmaggione » 2009
Si les Barbera du domaine ont l’habitude de souvent fréquenter nos tables bruxelloises, l’occasion était belle de tâter du Nebbiolo de ce domaine attachant.
Si le nez de ce vin est un tantinet serré au service, il prend beaucoup d’ampleur à l'aération, où le fruit typique des vins sans artifice s’entremêle à un toasté épicé, plus classique, presque moderne.
En bouche, ce sont la fraicheur et le fruit qui dominent, et dans un sens, si ici, la concentration de matière ne semble pas entre l’objectif poursuivi, c’est tant mieux, parce que cela permet une joyeuse descente. A noter que le vin résiste aux mets assez bien relevés, comma la puissance de la sauce qui accompagne les tripes à la Romaine, prévues sur les trois vins suivants.
Trippa alla Romana
3. Bartolo Mascarello - Langhe Nebbiolo 2009
Avec les tripes, on attaque, entre autres un duo de vins de Mascarello… (prononcez Maska et pas Macha) avec celui de chez Bartolo M. pour entamer la série, un domaine que j’ai eu l’occasion de goûter assez souvent ces derniers mois
Le nez est splendide de complexité, le tout en puissance…. Jugez plutôt : charnu, énorme, animal, truffée, torréfié mais aussi plein de fruits rouges qui pètent de fraicheur.
Malgré sa structure tanniquement et une matière énorme, la bouche est jeune, pure, très vivante, relevée par de doux épices et avec une sensation de minéralité évidente surtout sur la belle et plus soyeuse longueur. Bref, splendide.
Ce domaine ne cesse de m’arracher des coups de cœur, que ce soit en Barbera, ici, en Langhe ou, on le verra plus tard en Barolo… Suis sur le cul… Belges, ruez-vous goûter/acheter cela chez Cantucci ou au Caffè al Dente, certes ces vins ne sont pas à des prix d’entrée de gamme, mais quand on aime….
4. Giuseppe Mascarello - Langhe Nebbiolo 2008
Pour ce vin du deuxième nom homonyme, on troque la puissance pour le velouté.
Le nez paraît plus avancé, avec des sensations balsamiques qui côtoient une aussi belle complexité plus aérienne faite de notes de fraise très juteuses et de fruits rouges. Beaucoup de classe !
La bouche répond pile poil au nez tout en harmonie avec ses sensations fines et élégantes de velours et sa minéralité. Si c’est moins joyeusement juteux que son prédécesseur, c’est terriblement goûteux et, après une demi-heure, cela frise la tuerie….
5. Bruno Giacosa - Nebbiolo d'Alba 2007
Par rapport aux deux Langhe, tant le nez et la bouche sont de prime abord beaucoup plus serrés, masculins, sérieux mais on ressent que l’on n’est pas non plus face à une matière brutale sans finesse ou complexité, surtout que la grande fraicheur de la bouche annonce une classe sous-jacente. Comme tel, juste après le service, c’est aussi le vin qui s’adapte le plus à la structure relevée de la « Romana » des tripes. Ce serait très intéressant de voir ce vin sur une Pasta all’Amatriciana.
Ce qui est tout aussi évident, c’est qu’avec plus d’aération, la classe et le juteux prennent de l’ampleur pour finalement proposer, ici aussi, un vin de très haute volée.
Lire ce genre de commentaires doit être probablement un peu lassant ou du moins faire l’effet d’un gros chou à la crème, tellement les expressions qualitatives sont de la partie, et pourtant, j’vous jure, que j’exagère pas. Y a même une espèce de frustration à se dire qu’on n’est passé à côté de cela pendant tant d’années…..
Misto di Pasta come il Capo: Tonno, Funghi e Salsiccia
6. Piero Busso - Barbaresco "Mondino" 2009
On passe au niveau supérieur en attaquant une des deux plus nobles DOCG du Piémont : Barbaresco.
Avec un nez très puissant, mais serré et foxé. Par rapport aux premiers vins, cela paraît nettement plus austère.
La bouche aussi est très austère, tanniquement probablement encore trop jeune et on est en fait en droit de se demander si ce vin n’est pas tout simplement fermé, en attente, ou un peu en-dedans si on préfère. Comme en plus on perçoit des sensations asséchantes d’une part et un sucre peu intégré d’autre part… cela pose question, voire même débat. La seule chose à dire dans ce cas , c’est à revoir, bien évidemment.
7. Roagna - Barbaresco « Vecchie Vigne Asili » 2007
Pour suivre trois vins de chez Alfredo et Luca Roagna, un domaine qui n’arrête de me faire craquer et dont j’ai insisté pour ajouter cette triplette à la sélection originale. Le problème avec les vins de ce domaine, c’est qu’ils sont particulièrement introuvables, et surtout régulièrement. Les 3 bouteilles de ce soir-là étaient arrivées la veille par poste en provenance de…. Toscane, peut-être pas l’optimum pour déguster un vin. Une raison évidente de cette sorte de pénurie se trouve sur l’étiquette des « Vieilles Vignes »…. 1200 exemplaires ! Pour un domaine aussi médiatique, tout est dit !
Le nez est d'une classe et d'une subtilité rares, pur, juteux, avec à nouveaux de belles notes balsamiques... le prototype de ce qu'on est en droit d'appeler un "bouquet".
La bouche est fraiche et très charnue avec des tanins tactilement bien perceptibles, structurant, même, mais le maître mot de ce vin est avant tout "équilibre". Côté style c'est plus baroque que purement juteux, mais cela respire une élégance énorme. Un vin noble, captivant presque cérébral!
8. Roagna - Barbaresco « Vecchie Vigne Montefico » 2007
Le vin suivant, lui aussi issu d'une micro-parcelle historique du domaine (0,24 ha de vignes de 50 ans), tout autant avec des rendements de l'ordre de 30 hectos. Il est rigoureusement vinifié comme son cousin et... pourtant, il est littéralement différent, comme si Luca Roagna cherchait à publier un manifeste pour le terroir.
Le nez est ici bien plus puissant, plus solaire, avec un fruit rouge assez gourmand à la limite du surmaturé, très loin du baroque ! La bouche est du velours pur, totalement jouissive, avec une tension qui renforce par sa fraicheur la sensation de jus, gourmande comme au nez, et malgré une pointe de sucrosité, la finale est complètement sur la générosité et cela en fait un modèle de vin de glou, modèle, parce qu'avec la salinité très perceptible et l'aspect encore jeune du vin, on pressent qu'il a encore beaucoup de choses encore à dire.
Terre e Mare : Pesce e Arrosto di Manzo
9. Roagna - Barbaresco « Pajé» 2004
Par rapport à ses deux frères microparcellaires, cette cuvée, plus facile à dénicher, se démarque par un boisé serré et une complexité en recul, même si le fruit est présent. Il y a aussi, une fameuse volatile ! Même impression en bouche où malgré le fruit, l'acidité et les tanins boisés règlent le compte de la finesse de ce vin. Même si cela s'ouvre et s'adoucit avec le temps, je reste persuadé que ce vin n'était pas net à son ouverture, dix heures plus tôt. Certes, il ne s'agissait pas de bouchon, mais d'un flou anormal. A revoir, donc !
10. Giovanni Canonica - Barolo "Paiagallo" 2008
Rien qu'à l'étiquette, la couleur est donnée.... Pour sûr, on serait étonné de trouver ici un vin bettano-parkérien au boisé millimétré, à la pureté aseptisée d'une salle d'op avant la première chirurgie, à la structure aussi jouissive qu'une baignoire suisse-allemande (merci Mauranne). Que nenni, of course, ici, c'est clairement dans le domaine du vivant qu'on veut se signaler.
Confirmation au diagnostic avec un bon gros nez charnu, plein de jus, avec une impression de concentration énorme très prometteuse. Si la bouche est assez rustique et serrée à l'attaque, dès l'aération, ça balance, et de plaisir et de noblesse, avec toute la retenue d'un vin encore terriblement jeune. Déjà, très bon, de fait, mais à revoir absolument dans 5 ans ! Génial aussi sur le poisson.
11. Ferdinando Principiano - Barolo "Ravera" 2007
Virage à 180° avec ce vin, en étiquette et en réalité perçue. Le nez et la bouche sont ici marqués par un gros boisé moderne et une impression de matière énorme. Sauvé des eaux du "classique international" par une fraicheur intense, ce vin s'améliore avec l'aération en livrant plus de fruit, plus de classe et plus de buvabilité avec du fruit, pas mal de classe. le prototype de Nebbiolo comme j'en ai goûté avant dans les salons où des pingouins s'extasient devant un Mouton-Rothschild, sauf qu'ici, c'est quand même nettement meilleur..... Sur la viande, le vin s'en sort pas mal, alors qu'il paraît fort austère sur le poisson.
Misto di Formaggi
12. Giuseppe Rinaldi - Barolo "Cannubi San Lorenzo" 2006
Ce qui est bien avec un blog, c'est qu'on peut faire preuve de subjectivité à partir du moment où on annonce la couleur : le but n'est pas la condescendance commerciale, juste pouvoir dire quand on est pas emballé, que ce n'est pas notre style, mais quand on décolle, de balancer les orgues de Staline de superlatifs.
Avec ce Rinaldi, et au contraire du précédent Principiano, je décolle, je passe la vitesse de la lumière pour plonger dans l'immensité intersidérale du "plaisir", dans la même admiration subjuguée qu'avec laquelle j'ai des larmes aux yeux face au Domo d'Orvieto. Tout est ici splendide, proche de la perfection: fraicheur, fruit, matière aérienne sans bornes, finesse inouïe, tanins présents, structurés mais complètement intégrés, potentiel gigantesque au vu de la longueur exceptionnelle. Les gens qui ont commis ceci sont des mages....
Je ne vais plus en dormir tant que je n'aurai pas rencontré Giuseppe et sa fille Maria.
I send a message in a bottle......
Beppe « Citrico » Rinaldi
Suite à la dégustation, me replongeant dans le volume des Vini Naturali d’Italia consacré aux Piémont, j’ai vraiment compris pourquoi Giovanni Bletti y avait écrit cette phrase sans équivoque concernant les vins du domaine : Que vous ne connaissiez rien au Piémont, que vous soyez amateur, passionné, dégustateur professionnel, caviste ou vigneron, vous adorerez les vins de « Rinaldi », personne ne fait autant l’unanimité.
13. Andrea Oberto - Barolo 2005
Il n'y a rien de pire en termes d'effet de séquences que de passer derrière un Michel-Ange de la vigne. Si ici, la matière, la structure paraissent plus imposantes, plus massives et que le boisé, sans conférer du râpeux aux tanins, est plus sec, il ressort beaucoup de classe, d'unité dans ce vin et cela pour un millésime plus difficile, du moins, plus léger. Plutôt que sur les fromages, j'aurais volontiers tenté ce vin sur le roastbeef.
14. Bartolo Mascarello - Barolo "Cannubi-San Lorenzo-Rué-Rocche" 2004
Après l' « Enterprise » Rinaldi, voici sans nul doute le «Nostromo » Mascarello. Si le vaisseau qui nous emmène à nouveau aux confins constellés de la galaxie du plaisir est certainement plus massif, plus énorme, rien que par sa matière gigantesque, tout concourt à l'émotion. Une telle matière qui vous traverse aussi facilement, vous laissant sur chaque cellule épithéliale de la bouche une marque indélébile de bonheur, cela s'appelle un vin fantastique. J'en veux !
15. Cappellano - Barolo "Piè Rupestris" 2001
Dans le même registre que le Mascarello, il y a ce Piè Rupestris d’Augusto Cappellano. Micro-domaine faisant l'objet d'une vraie religion, la bestiole s'exprime ici avec encore plus de puissance. Si c'est moins aérien, magique que son prédécesseur, rarement j'ai ressenti autant de chair dans un vin. En plus, ici, avec le fromage, l'accord est superbe, le gras et le lacté apportant une belle rondeur à l'ensemble. On termine en force, certes, mais toujours aussi muet d'admiration. 2001 me semble aussi de plus en plus captivant, en Italie.... comme en France!
Conclusion
En guise de conclusion, j'aimerais vous imposer ma réflexion sur mon trajet historique avec les vins du Piémont et surtout avec le Nebbiolo… avec toute ma subjectivité d'amoureux de vins vivants.... bien entendu !
Mes premiers contacts eurent lieu chez un caviste qui recherchait, pour répondre à une demande évidente, des dinosaures de poids, ultra-massifs et très boisés, terriblement classiques de la vigne à la bouteille. Parmi ces vins, Il y avait les "La Spinetta", "Paulo Scavino" et autres "Aldo Conterno". Certes, ces vins avaient de la tenue, de l'équilibre, mais ils étaient tellement massivement structurés que je finis par penser que le Nebbiolo était un cépage austère, presque brutal, qui ne vieillit finalement jamais, du moins en terme de rondeur.
Plus tard, avec les vins de Sandrone, de Sottimano ou encore de Voerzio, j'ai découvert que le Nebbiolo, derrière sa puissance et sa grosse structure tannique pouvait faire preuve de finesse et d'élégance, sans pour autant sortir du registre de l'austérité, classieuse, certes. Des vins comme ceux d'Oberto ou de Principiano, goûtés dans cette dégustation, sont probablement à mettre dans cette catégorie.
Puis il y a eu quelques rencontres avec Roagna et ses vins et surtout ce repas qui m'a fait passer du doute ou du respect à l'admiration, parce qu'à la structure, la finesse, l'élégance déjà rencontrées, venaient s'ajouter comme un ouragan, le plaisir, le croquant du fruit, l'émotion de la buvabilité. Soudainement, ce cépage m'a paru être une évidence de mériter tout le bruit qu'on en fait, celui d'être probablement le plus grand cépage italien. Merci à vous, les amis pour cela !
Gastronomiquement, enfin, il faut reconnaître que le Nebbiolo, du moins, ceux de cette soirée, sont de véritables caméléons de l’association. De la charcuterie aux plats les plus épicés en passant par diverses Pasta où se côtoient ou viande, ou « funghi » de caractère, en passant même vers des poissons simplement passés au four, il s’est toujours trouvé un vin pour s’accorder à merveille.
Pas la peine de faire un tableau sur les viandes rouges ou les fromages où même les plus corsés d’entre eux se fondaient à merveille.
Cela ferait-il de ce cépage, l’idéal en gastronomie ? Plus que probablement, connaissant nos amis italiens et le culte qu’ils vouent à ce fruit du Piémont. Tout s’explique…..