Il Paradiso di Manfredi
Préambule
Quand on arrive à la bien nommée propriété « Il Paradiso di Manfredi », l’émotion est assez vive, tant les vins et la personnalité de Florio Guerini semble coller parfaitement à ce nom paradisiaque, tout particulièrement pour de nombreux vignerons de Montalcino pour qui le seul nom de Florio allume un étincelle dans les yeux.
Pour ma part, si je m’apprête à pousser la porte de ce vénérable domaine, je le dois avant tout à Francesca Padovani (Fonterenza) qui n’a eu de cesse d’en faire des louanges, insistant sur le fait qu’un disciple de la philosophie d’Elisabetta Foradori comme je suis, se devait de rencontrer Florio au moins une fois sur le sentier de sa passion.
Il faut dire que les quelques bouteilles dégustées depuis quelque mois n’avaient fait que me confirmer qu’il y avait là quelque chose de grand, de très grand même, le tout avec le seul bémol que comme pour tous les objets mythiques dans le monde du vin, trouver une bouteille à l’achat relève de l’exploit...
Un peu d’histoire…
C’est en 1958 que Manfredi Martini, un agronome passionné de vins, achète une petite propriété nommée « Il Paradiso » au Nord-est de Montalcino, sur ce qui représente encore la zone « historique » du Brunello. Tout en participant à la création du Consorzio del Brunello di Montalcino, Manfredi va transformer, avec son épouse Fortunata, cette propriété en petite pépite vinicole, s’attachant d’emblée à respecter les pratiques artisanales ancestrales, et donc, en se refusant, malgré l’époque, à toute utilisation de produits industriels pour traiter les vignes.
Très vite, le domaine prend le nom de « Il Paradiso di Manfredi », nom que personne depuis n’a contesté le côté judicieux.
Mais le mythe va encore gagner en importance quand sa fille Rosselia épouse un professeur de mathématiques appelé Florio Guerini. Ce dernier, lui aussi passionné de viticulture, est un admirateur des grands domaines historiques de l’appellation, dont Biondi-Santi, et il a assurément le rêve de mener le « paradis » de son beau-père au firmament. Un rêve que tous ses pairs lui accordent aujourd’hui comme réalisé, et tant pis pour l’instruction des jeunes aux mathématiques.
Un an avant le décès de Manfredi, en 1981, Florio réalise son premier millésime et depuis, n’a eu de cesse depuis de faire « minéraliser » ses vins. Avec l’aide de ses deux filles, il fait encore aujourd’hui ses vins avec une passion grandissante, même s’il vous dira qu’après tout, il n’y est pour rien, c’est le sol qui fait tout le travail !
Florio est actif dans le mouvement « Renaissance », mais il est surtout fier de son appartenance au groupe « Triple A », Agricoltori Artigiani Artisti créé en 2001 par Luca Gargano et qui prévaut un respect absolu de la biodiversité et des techniques artisanales, le vrai esprit des Vini Naturali d’Italia.
Au vignoble
Le domaine se situe à un kilomètre du centre de Montalcino, à 325 mètres d’altitude sur les terrasses historiques au Nord-est du village, Montalcino ayant cette particularité d’être entouré de vignobles, les vins pouvant donc être issus de toutes les sortes d’exposition. Dans le cas présent, l’exposition froide et les vents maritimes tempèrent un soleil très présent sur des sols argilo-calcaires où la roche-mère n’est jamais loin d’affleurer, conférant à l’ensemble un microclimat idéal pour le vin. Pour preuve du passage de la mer en ces lieux, on retrouve aujourd’hui de nombreux coquillages et fossiles marins au gré de la promenade entre les rangs.
C’est à travers cette roche faite de sédiments maritimes compressés du Pliocène et plus particulièrement à travers les veines crées par certaines strates de sédiments moins agglomérés que les racines creusent leur route jusqu’à des profondeurs de 20 à 25 mètres, là où elles peuvent se nourrir de leur substrat aquaminéral dans une fraicheur garantie, les couches de roche superficielle faisant office de bouclier thermique.
Parler uniquement de microclimat et de géologie favorable serait en fait très simpliste pour expliquer l’impressionnante qualité des vins. Florio refuse tout forme d’agrément en bio ou biodynamie, parce qu’il n’y voit qu’une utilité commerciale alors qu’il sait qu’il a créé la un véritable biotope où le maître mot est biodiversité. Des oliviers et arbres fruitiers aux graminées diverses, l’environnement biologique crée un milieu ultra favorable non seulement à la vigne, mais aussi aux levures, le second élément-clé pour Florio, avec le sol.
Sur les 3,5 hectares du domaine, 2,5 sont voués au Sangiovese Grosso dont 80 % alimenteront le futur Brunello. Deux petites parcelles de Trebbiano et de Malvoisie viennent compléter l’édifice en bas du domaine, en lisière de forêt, cépages blancs qui donneront un blanc limité à la famille et… aux amis.
Dans ce paradis naturel, les vignes sont plantées à raison de 3300 pieds à l’hectare, toutes en sélection massale, les plus anciennes atteignant 55 ans alors que la moyenne tourne autour de 30 ans. Les rendements sont de l’ordre de 25 à 30 hectolitres à l’hectare.
L’intervention est minimale, toujours manuelle, comme les vendanges, se bornant le plus souvent à un élagage des bourgeons et des feuilles pour concentrer l’énergie sur les grappes, voire même un élagage des grappes les moins fières peu avant la véraison, le tout pour permettre aux meilleurs grappes de bénéficier d’un maximum énergétique.
A la cave
Tant de respect de la nature ne saurait ne pas trouver un prolongement à la cave. Si dans les vignes, même si Florio ne la connaît pas personnellement, l’esprit d’Elisabetta Foradori semblait planer avec douceur, dans la cave, malgré une relative simplicité, on se rapproche de la pensée d’un Jean-Michel Deiss, parce que tout y est disposé pour empêcher au vin de souffrir, le plus important étant de permettre au jus de toujours utiliser une douce gravité pour passer d’une étape à l’autre, soit des fermentations à l’élevage, ou de l’élevage à la mise en bouteille… et surtout, ainsi, de permettre un interventionnisme presque nul.
Et quand on dit au vin et non aux vins, c’est qu’il y a une raison. Florio ne sélectionne pas telle ou telle parcelle pour faire une cuvée donnée. La vigne donne un seul jus et c’est ce jus qui fermente dans les cuves de ciment émaillé, cuves qui par leur structure, permettent d’éviter un contrôle technique de la température, le ciment absorbant fortement les excès supérieurs des premières heures, et relarguant de la chaleur quand la fermentation se fait moins active. Florio prône de longues fermentations et estime les prolonger autant de temps que l’activité des levures est qualitative, celles-ci, selon lui, à l’épuisement, ayant une odeur naissante très particulière et très perceptible.
Les mouts sont ensuite transférés dans la salle réservée à l’élevage où ils seront accueillis dans des foudres de Slavonie de maximum 50 hectolitres, les plus grands étant destinés au Rosso et où le vin se fera pendant 14 mois, les moyens, accueillant les futurs Brunello durant 36 à 40 mois. Enfin, le plus petit foudre proche de la taille d’une grande barrique recevra les futures Riserva, pendant 48 à 54 mois si l’année le permet, soit, si le plus souvent, l’année est déclarée cinq étoiles par le Consorzio.
Le choix de ce type de foudre est motivé par le fait qu’à la fois, ils influencent moins le vin par son enrichissement en tanin et que leur porosité moindre permet des micro oxygénations très contrôlées alors que cela serait plus difficile avec des barriques plus poreuses.
A la fin de la phase d’élevage, les vins, puisque ils sont désormais pluriels, sont transférés, toujours par douce gravité vers la salle voisine de mise en bouteille où ils ne connaîtront que la seule intervention humaine réelle, soit un léger sulfitage, amenant les vins à un sulfate total de 30 à 40 mg/litre.
Les bouteilles seront ensuite entreposées un minimum de 18 mois dans la salle la plus basse de la maison, creusée dans le calcaire. Et il s’agit là du minimum légal ; Florio continuait à vendre son Brunello 2006 en juillet 2013, alors qu’il pourrait avoir commencé la commercialisation de son 2007 depuis le mois de janvier 2013.
Dix mille bouteilles sont produites annuellement dont huit mille de Brunello. Une grappa absolument époustouflante vient compléter microscopiquement cette production, l’huile et les blancs étant réservés à l’usage personnel.
Les vins
Beaucoup de choses ont déjà été dites sur les vins et leur élevage, je me bornerai donc ici à un bref rappel de données techniques.
Rosso di Montalcino
Cépage : Sangiovese Grosso
Rendement : 25-30 hl/ha
Production : +- 2000 bouteilles
Fermentation en cuve de ciment émaillé à 28-30 °C, environ 20 jours avec levures indigènes.
Elevage : 14 mois en foudres de Slavonie
Ni filtration, ni clarification, ni acidification
Brunello di Montalcino
Cépage : Sangiovese Grosso
Rendement : 25-30 hl/ha
Production : +- 8000 bouteilles
Fermentation en cuve de ciment émaillé à 28-30 °C, environ 20 jours avec levures indigènes.
Elevage : 36 à 40 mois en foudres de Slavonie
Ni filtration, ni clarification, ni acidification
Brunello di Montalcino Riserva
Cépage : Sangiovese Grosso
Rendement : 25-30 hl/ha
Production : +- 1000 bouteilles si l’année le permet
Fermentation en cuve de ciment émaillé à 28-30 °C, environ 20 jours avec levures indigènes.
Elevage : 48 à 54 mois en foudres de Slavonie
Ni filtration, ni clarification, ni acidification
Comme on le voit, seuls les paramètres de production et de durée de l’élevage changent en fonction des vins proposés; Florio insiste aussi sur « LES » différents équilibres de ses vins au fur et à mesure des millésimes. S’ils sont toujours différents d’une année à l’autre, ils sont toujours réussis et souvent surprenants, surtout dans les années chaudes.
Dégustation
S’il est arrivé à tout un chacun d’avoir dans certains domaines une dégustation touristique, le meilleur moyen d’oublier ce type de déception est certainement d’être accueilli par Florio et sa famille dans la petite salle dédiée aux hôtes, entourée d’une bibliothèque qui ferait baver d’envie mes amis Michel Smith et Jacques Berthomeau.
Rarement j’avais vu un vigneron italien aussi passionné dans ses vignes, aussi respectueux de sa terre, rarement j’aurai vu un vigneron aussi passionné de ses vins et respectueux de ses hôtes que Florio. Par les gestes traditionnels, par le sermon beau et solennel, c’est à une grand messe que j’ai assisté. Un de mes voisins baroudeurs de première m’avouera n’avoir vu cela que chez… Pierre Overnoy.
On aurait presque envie de se laisser raconter uniquement l’intensité humaine perçue, mais passer à côté des vins présentés serait provoquer la colère de l’Olympe de la treille, tant ce que nous avons pu goûter était tout aussi captivant que le maître de cérémonie.
Le Brunello Riserva 2000 tout d’abord met nos papilles en émoi par le velouté de ses arômes sur le cuir, le bois d’acacia, le tabac, faisant littéralement penser au grands Bordeaux d’antan, jamais en puissance, tout en profondeur. Et que dire de la bouche, fraiche, aux tanins subtilement fondus qui nous transporte dans une méditation presque infinie… Ah, cette fraicheur… malgré un millésime chaud…et dire que ce vin, comme les autres est servi à 24°C, Florio insistant sur le fait qu’un grand Sangiovese a besoin de cette température pour exprimer toute son âme. Vous me diriez émotion aveuglante ? Regoûté dans les mêmes conditions de température quelques jours plus tard, rien n’avait pourtant changé, sauf que le charme se transformait en quelque chose de plus envoutant encore.
La seconde bouteille que Florio nous propose est un Brunello 2003. Vous étiez en Toscane cet été-là ? Il faisait presque irrespirable, avec des 40°C perçus des jours d’affilée et une humidité proche de celle du Kalahari. Bref, le genre de souvenir à vous faire fuir rien qu’à la vue de ces 4 chiffres bouillants sur une étiquette.
Et pourtant nous avons bien eu droit ici à un des Brunellos les plus frais, les plus complexes et les plus profonds qui ne m’ai jamais été donné d’avoir jamais goûté, un vin d’une cohérence inouïe, avec des tanins qui font penser aux meilleurs crus de Giuseppe Mascarello, complètement « dans » le vin. Et je vous ne vous parle pas du fruit, énorme sans la moindre micromolécule de surmaturité. En plus, ces sensations sont loin d’être un flash fugace, elles persistent indéfiniment. La classe absolue !
Après avoir « rencontré » ces deux vins de millésimes torrides et avoir admiré cette fraicheur, on comprend mieux ce que Florio voulait nous dire quand il parlait de ces différents équilibres en fonction des millésimes et quand il nous disait que, le plus souvent, ce sont dans les années les plus pénibles que ses vignes lui offraient ce qu’elles avaient de plus beau.
On termine la dégustation des rouges par un Brunello 2006, toujours en vente, un vin qui respire toujours la classe, mais plus en puissance, plus en concentration, avec une acidité et des fruits rouges encore vif, un vin en totale maturation, un peu comme si Florio voulait tempêter à son public : « Vous voyez, mes vins ont besoin de temps ».
Pour bien nous faire comprendre que c’est bien en amis qu’il nous reçoit, Florio nous présente ensuite ses blancs 2009 et 2010 à base de Trebbiano et de Malvoisie. Et là, en terme de proclamer son identité « agriculteur, artisan, artiste », on ne fait pas mieux. Deux vins d’une forte minéralité, d’une grande pureté, proche par leur gras et leur fraicheur de ces vins qu’on fait en amphore dans les meilleurs domaines, ce genre de vins qui perturbent les jeunes palais et qui envoûtent ceux qui pensent avoir tout vu.
Du grand vin, pleinement « naturel ».
Il faut hélas quitter notre hôte, bien qu’on sente qu’il veut nous garder, comme un père qui ne veut pas voir partir ses enfants. Mais comme il doit finalement se résigner, il nous couvre de présents, allant jusqu’à m’offrir un de ses livres favoris, un livre qui parle de l’éducation au vin : « L’invenzione della Gioia » de Sandro Sangiorgi (Porthos Edizioni » … L’invention de la joie, tout est dit !
Je ne tomberai pas vraiment dans le piège de terminer cet article par quelque conclusion, tellement aucune porte ne s’est en fit, fermée, après notre départ, et je ne voudrais pas non plus tenter de résumer mes émotions, chaque chose de ce qui a été dite étant « nécéssaire ». Et pourtant, en écrivant ceci, je ne peux empêcher une larme de perler.
Grazie Mille Professore !
Coordonnées
Il Paradiso di Manfredi
Florio Guerini
Via Canalicchio, 305
53024 Montalcino (SI)
TEL/FAX : +39 0577 848478
Mail : info@ilparadisodimanfredi.com
Web : www.ilparadisodimanfredi.com
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