Roagna... ou quand le Nebbiolo devient Roi
L’observateur un peu vif se sera amusé de croiser tant au feutré salon du Grand Tasting que dans les grottes troglodytes de la Dive Bouteille à Saumur, un sacré petit bonhomme à l’œil vif, au sourire permanent et dont les vins font l’unanimité des visiteurs ; un contraste de lieux et d’idées qui en fait sied parfaitement à une volonté d’inscrire ses vins dans un contexte naturel, pleinement respectueux de la biodiversité, tout en leur gardant un caractère classique, respectueux du travail de cinq générations. Ce "Monsieur" du Nebbiolo qui, du haut de ses 35 ans, a su garder une totale simplicité malgré le fait que de Bettane à Grosjean, les fans lui vouent presqu’un culte, c’est Luca Roagna.
Un peu d’histoire
Orienter tous les feux de la rampe sur Luca Roagna serait assez elliptique et le fâcherait plus que probablement, tellement il veut s’inscrire dans la continuité de 5 générations de vignerons qui se sont installés à Barbaresco depuis 1880, dans cette zone des Langhe, partagée avec Barolo, qui après de longs siècles de silence, avait vu ses vins renaître au 15e siècle pour lentement devenir, principalement grâce à leur cépage étendard, le Nebbiolo, les « Bourgognes » de l’Italie, lui offrant pas moins de 10 DOCG et un nombre impressionnant de DOC.
Si Luca mène son domaine aujourd’hui en compagnie de son père Alfredo, l’aventure des Roagna commence donc avec Vincenzo, son arrière-arrière-grand-père qui décide vers 1860 de se lancer dans la viticulture avec un groupe d’amis. A l’époque, le chai est situé en plein cœur du petit village de Barbaresco et les vins sont totalement traditionnels de l’époque, corsés avec une forte quantité de sucres.
Giovanni et Maria, ses grands-parents vont marquer l’histoire du domaine en déménageant le chai sur le sommet de la colline surnommé « I Paglieri », situé face au terroir de Pajé, emblématique de l’appellation. Parallèlement à ce déménagement et à l’achet de parcelles sur Pajé, le couple inscrit de plus en plus ses vins sur le registre de la finesse, et s’ils prennent à leur compte les avancées technologiques, ils se veulent absolument résister aux techniques et aux intrants qui, in fine dénaturent la vie de leurs sols.
Giovanni est probablement le personnage qui a le plus influencé Luca dans sa réflexion.
Leur fils Alfredo et son épouse, Luigina, vont poursuivre largement cette œuvre en plaçant la renommée du domaine déjà parmi les meilleurs de Barbaresco.
Luca Roagna est donc un enfant de la vigne, d’ailleurs, il aime à rappeler qu’il est né en septembre 1980, le jour du ban des vendanges, comme si le vin et son organisme était intimement liés et ce ne sont pas les jeux de son enfance entre les rangs qui ont affaibli ce lien irréversible.
Tout en ayant longtemps poursuivi des études d’œnologie, Luca est enfin venu lentement s’insérer dans le giron familial dès l’aube des années 2000, et malgré la présence sur les lieux, à la fois de son père et de son grand-père, il va s’affirmer dès 2003 comme le véritable orienteur du domaine, cherchant à magnifier les différences de chaque cru du domaine par ses observations, son héritage familial mais aussi une véritable obsession de conférer aux vignes un environnement totalement naturel, répondant au maximum au lois et aux bienfaits de la biodiversité, étant ainsi de vrais révélateurs de ces terroirs de Langhe, si diverses d’une parcelle à l’autre.
A la mort presque concomitante de son grand-père et de sa mère en 2006, s’affirme encore plus cette volonté de continuer à évoluer vers de grands vins empreints d’énergie, de finesse tout en gardant une structure classique.
Mais Luca est aussi un voyageur toujours curieux, un homme de dialogue qui recherche toujours l’avis et la compagnie de ses pairs et son cheminement à la fois d’artisan traditionnel et de vigneron tourné vers l’agriculture biologique va rapidement l’intégrer dans le mouvement des Vini Naturali d’Italia, plus particulièrement à travers le groupe Vinatur, même s’il n’a jamais ressenti le besoin de demander quelque certification bio que ce soit étant persuadé que la vérité se trouve dans le vin et non le label.
La Casa Roagna
Ses nombreuses rencontres et amitiés ainsi que sa volonté de perpétuellement tenter de faire encore plus pour obtenir de « grands » vins l’ont amené ces dernières années à entamer un projet en bordure de ses vignes de la Pira à Castiglione Falletto, la Casa Roagna, un projet qui a voulu voir s’ériger un splendide agriturismo ouvert à tous les amis, à toutes ces rencontres et qui surplombe de nouvelles installations de 5000 m² entièrement vouées à son cru de Barolo.
Ce projet est devenu réalité à l’aube de l’été 2013. Y ouvrir la fenêtre d’une des chambres et voir lentement le soleil envahir la vallée de Barolo, c’est instinctivement comprendre tout l’amour qu’a Luca pour sa terre, son vin et l’héritage familial, le tout imprégné par énormément d’équilibre, de simplicité et d’harmonie.
Vue d'une des chambres de la Casa Roagna
Géographie et parcelles
Le domaine est situé à Barbaresco au cœur des collines des Langhe, région mythique du Piémont contenue entre Asti, Alessandria, Cuneo et Gavi et qui abrite en son cœur la ville d’Alba, réputée autant pour ses foires de vin que de truffes blanches.
En Bleu Barbaresco, en Vert, Barolo
Si le roi des champignons, le Tuber Magnatum Pico se complait dans cette région au même titre que le Nebbiolo, c’est parce qu’elle jouit d’un microclimat unique du à son positionnement dans un véritable amphithéâtre de montagne qui l’enserre et lui ouvre la vallée du Pô.
Plus particulièrement, la protection des montagnes est d’autant plus importante qu’il n’y a pas de Préalpes, et que, donc, on passe directement de pics qui oscillent joyeusement entre 2000 à 4000 mètres aux collines viticoles. Ceci confère un rythme nycthéméral entre chaleur du jour et fraicheur de la nuit, ce qui a pour conséquence de générer des matinées brumeuses d’où le Nebbiolo tire son nom parce que que l’aspect extérieur de sa peau épaisse rappelle ces brumes matines, nebbie en italien. Cela induit que même lors de saisons caniculaires, les vins du Piémont, un peu comme en Jura et en Savoie, parviennent à s’en sortir mieux qu’ailleurs, de même, ce bouclier montagnard protège très favorablement cette région des influences maritimes et donc de périodes humides excessives. Ce microclimat est enfin gracieusement tempéré par l’influence d’une rivière, le Tanaro.
Les sols sont majoritairement argilo-calcaires issus du Tertiaire avec des zones plus sablonneuses, surtout en surface. Du fait de la proximité de montagnes jeunes, la couche argileuse est assez faible, la roche-mère pouvant çà et là affleurer facilement. Les argiles se présentent souvent sous forme de marnes avec des incrustations de grès, de schistes, de feldspaths, de mica et de graphites, pour atteindre un véritable kaléidoscope de sols qui rappelle les variétés atteintes en Alsace. Cette richesse et variabilité en microéléments minéraux est extrêmement profitable parmi lesquels, pour les blancs, le Cortese, l’Arneis et le Moscato Bianco, et pour les rouges, principalement, la Malvasia, le Grignolino, le Brachetto, la Bardera, le Dolcetto et bien évidemment le Nebbiolo qui nous intéresse particulièrement pour le domaine Roagna.
Au fil des décennies, l’intérêt pour les vins du Piémont et plus encore pour ceux des Langhe ainsi que leurs prix de vente ont profondément modifié l’aspect de la région, ne laissant aux forêts et aux villages historiques que les sommets au-dessus de 400 mètres, le reste devenant comme un tapis de vignes recouvrant les multiples collines, ce qui a pour conséquence de proposer des crus aux orientations multiples, certains pouvant être très frais, d’autres très solaires à tel point qu’il devient très difficile d’imaginer un modèle unique de vin à Barolo et Barbaresco.
Vu la présence de très nombreuses vieilles vignes (50 ans et plus) dans la région et plus particulièrement au Domaine Roagna, le profond enracinement qui en découle ainsi que les couches sablonneuses permettent une excellente régulation hydrique des ceps.
Le Domaine compte aujourd’hui 15 hectares sur Barbaresco avec les parcelles Pajé, Asili, Montefico et Carso ainsi que sur l’appellation Barolo avec la parcelle La Pira en bordure de la Casa Roagna à Castiglione Falletto.
Plus en détails, ces parcelles peuvent se décliner comme suit :
Sur l’appellation Barbaresco :
Crichët Pajé et Pajé, attenant au village de Barbaresco et constitué d’un amphithéâtre de deux hectares sis à une hauteur moyenne de 250 mètres et exposé au Sud-Ouest avec des sols marno-calcaires conférant beaucoup de finesse aux tanins.
L’âge moyen des vignes va de 35 à 40 ans. La partie supérieure avec ses vignes de plus de 55 ans et ses rendements proches de 30 hl/ha est vouée à la cuvée Crichët-Pajé, dans les meilleures années. Il s’agit de la parcelle historique du domaine.
La partie centrale, environ 1 hectare, contient elle aussi de très vieilles vignes et est souvent destinée aux Riservas.
Montefico, une petite parcelle de 0,24 hectares à 500 mètres du village sis e à 330 mètres d’altitude avec une exposition Sud-Est sur des sols marnes bleues et des vignes de 50 ans et plus.
Cette parcelle héritée de Maria Candida, la grand-mère de Luca donne des vins plus solaires, presque rhodaniens avec des rendements de 35 hl/ha, soit une production de 1200 bouteilles.
Asili est une parcelle encore plus petite, soit 0,22 hectares voisine de celle de Pajé et orientée au Sud-Ouest à une hauteur de près de 300 mètres et toujours avec des sols calcaires incrustés de marnes. Ici aussi les vignes sont au moins quinquagénaires et produisent près de 1200 bouteilles, donc avec des rendements proches de 35 hl/ha.
Héritée de Giovanni, le grand-père de Luca, cette parcelle offre des vins entre la solarité de Montefico et le classicisme monacal de Pajé.
Dans la partie haute, la parcelle contient quelques rangs de chardonnay.
Carso, enfin, est une parcelle d’environ un hectare située dans la continuation de la colline d’Asili avec une structure de sols argilo-calcaires. Avec une exposition Sud, Sud-Ouest.
Elle est plantée principalement surtout avec des vignes de 35 ans de Dolcetto.
Sur l’appellation Barolo :
La Pira (anciennement nommée La Rocca e la Pira) est une parcelle d’un seul tenant de 9 hectares sise sur les flancs du village de Castiglione Falletto, avec une exposition au Sud, Sud-Est faisant face à Serralunga d’Alba, à une hauteur moyenne de 400 mètres avec des vignes de 30-35 ans sur des sols calcaires riches en sables très perméables avec des rendement de 45 à 50 hl/ha.
La particularité de cette parcelle-terroir est d’être totalement isolée des autres par une forêt de 3 hectares qui l’entoure et lui permet de ne pas être « contrariée » par d’éventuelles pratiques nocives du voisinage.
Cette parcelle en monopole a été rachetée en 1990 à un domaine historique de Castiglione Falletto et représente, avec la Casa Roagna attenante (l’Agriturismo et le nouveau chais), le pôle d’investissement le plus récent de Luca Roagna. Dans sa partie basse, on retrouve ici aussi quelques rangs de chardonnay.
Vigna Rionda est une parcelle de 1,24 hectares sur un des terroirs mythiques du village de Serralunga avec une exposition au Sud-Ouest avec des vignes de 40 à 60 ans sur un sol très complexe majoritairement constitué de dépôts calcaires et de marnes avec des incrustations de sables fins.
Le rendement moyen y est de 50 hl/ha.
Cette parcelle n’a jamais appartenu à la famille Roagna mais a été prêtée par son ancien propriétaire, Tommaso Canale, de 2003 à 2006. C’est sur cette parcelle que Luca a réellement fait ses premières armes et il n’oubliera jamais les après-midi passées à écouter, dans les vignes, les anecdotes de Tommaso. Cette collaboration s’est hélas terminée en 2006, à la mort de Tommaso.
A noter que l’élevage des vins était pratiqué par ce même Tommaso, le vin se rapprochant donc d’une cuvée de négoce, aussi prestigieuse soit-elle.
Nebbiolo
Si le domaine propose un Langhe blanc à base de chardonnay et une cuvée de Dolcetto, c’est clairement le Nebbiolo qui est à l’honneur au domaine sur toutes les autres cuvées.
Les grappes de Nebbiolo sont de taille assez moyenne, compactes et ses fruits possèdent une pellicule fine, intensément colorée avec des notes rouge violacé très prononcées. A la maturité, la coloration des grappes s’intensifie encore pour donner un noir profond avec des notes bleutées. A la maturité, toujours, sa chair est juteuse, assez acide et plutôt bien sucrée.
Le Nebbiolo tient son nom de la couleur bleu-gris qu’il offre sa pruine abondante au moment des vendanges, pruine dont la couleur rappelle les brumes (nebbia) qui sont très fréquentes en Piémont. Proche ampélographiquement de la Freisa, le Nebbiolo n’est pas unique, il a même tendance à muter assez facilement et on estime à une quarantaine le nombre de clones actuellement les plus fréquents avec comme plus connus, le Lampia (le plus régulier), le Michet (qui serait très qualitatif), la Bolla et le Rosé (le plus parfumé). Cette faculté à muter intéresse très fort les universités dont celles de Turin et de Milan qui cherchent en permanence d’obtenir un clone idéal…. Inutile de tenter de changer les hommes….
Le Nebbiolo, c’est le cépage de garde du Piémont. Pourtant, on ne peut pas dire que nativement, il a des qualités de champion, il aurait même tendance à être rejeté avec sa très forte acidité, ses tanins expressifs, sa sensibilité aux maladies et à l’humidité et surtout sa crainte des gelées matinales, alors qu’il est assez tardif. Pour le protéger, il est souvent planté à mi-coteau évitant ainsi les vents des sommets et l’Oidium qui y est lié ainsi que pour éviter l’humidité très présente en bas-coteaux.
Comme souvent dans les Langhe, les Roagna protègent leurs pieds de Nebbiolo par d’autres cépages ou par des plants de noisetiers. Si dans sa jeunesse, il est assez productif, aussi, il produit des vins bien plus fins quand les vignes prennent de l’âge.
Mais ce sont surtout ses capacités de boire le terroir, un peu comme le riesling ou le pinot noir, qui lui ont conféré ses lettres de noblesse.
Enfin, en fonction du type de viticulture et surtout de l’élevage, il peut se révéler très différent selon que l’on a affaire à des vignerons de l’école « moderne », Parker étant passé par là, école où souvent les tanins sont durcis par le bois, de l’école « classique » qui essaye de marier finesse et structure mais en évitant tout marquage par le bois ou encore de l’école « naturelle » chez qui les élevages sont menés pour obtenir des tanins au soyeux, au velouté infini.
Viticulture
Un paramètre important hérité des ancêtres est le lien direct entre la conservation d’un vignoble avec les ceps les plus âgés possibles et l’obtention de grands vins découlant d’une production faible pouvant faire profiter les baies pleinement de tous les apports nutritionnels et minéraux. C’est la raison pour laquelle, au domaine Roagna, la plupart des pieds ont été plantés entre 1937 et 1955.
Si les Roagna pratiquent de légères vendanges vertes sur les plus jeunes vignes, ils estiment que dès qu’elles atteignent 40-50 ans d’âge, ceci n’est plus nécessaire, vu qu’elles ont atteint une balance parfaite dans la qualité de production. C’est une des raisons qui renforce la volonté de travailler avec des vignes âgées et qui explique pourquoi les « Riservas » sont faites exclusivement avec des ceps d’au moins cinquante ans.
Le deuxième pilier philosophique du domaine est la notion de « Vin Naturel ».
La notion de vin naturel est sémantiquement une aberration de par l’intervention de l’homme et de par le fait que si on laisse la vigne évoluer naturellement, elle ne produit pas ou peu de raisin, se bornant à sa fonction première de liane rampante. De plus Luca et sa famille se veulent rester ouverts aux idées nouvelles, aux enseignements techniques, mais bien à condition qu’ils viennent s’insérer de la manière la plus adéquate dans la tradition orale et artisanale passée de génération en génération. Une application de cette philosophie, comme on le verra plus tard, est de travailler avec des suppléments sélectionnés de levures autochtones.
Mais comme dans tout le mouvement des Vini Naturali d’Italia, l’objectif de Luca est de permettre à la vigne de garder son caractère autochtone dans un environnement empreint du plus grand équilibre naturel possible, cela passant par une stimulation maximale de la biodiversité végétale et animale.
Si tu ne respectes pas la Nature, mère de ta grappe, ta grappe ne respectera pas ton vin.
Dès lors, même si, comme déjà dit, il n’y a aucune volonté, ici, de demander quelque agrément bio que ce soit, aucun engrais chimique ou organique ni pesticide n’est utilisé au domaine, seuls les composés à base de soufre ou de cuivre ainsi que les préparations phytopharmaceutiques proches de la biodynamie sont utilisées pour traiter la vigne. Il faut noter que l’absence de travail avec des herbicides ou des insecticides est une constance générationnelle chez les Roagna qui se sont toujours refusé à y faire appel, même quand toute l’Italie y faisait largement appel. A noter que pour Luca, l’apport du cuivre en tant que méthode de traitement renforce la pellicule des baies.
Mais le point majeur pour parvenir à cet équilibre naturel qui passe par l’obligation de biodiversité est l’enherbement intense et le plus anarchique possible qui est pratiqué au domaine. Cette pratique est tellement intensément pratiquée au domaine que l’on peut aisément, à une distance de 500 mètres, repérer une parcelle « Roagna », tellement une tache verte y tranche avec les vignes voisines.
Cet enherbement entre les rangs, où plus de 300 espèces végétales ont été dénombrées, a pour but de rapprocher les vignes du concept de l’équilibre d’une forêt sauvage où chaque espèce végétale et animale peut trouver sa place afin de créer un équilibre du vivant. Cet équilibre est absolument nécessaire pour respecter la vie dans les sols, plus particulièrement dans les couches superficielles, dites humus, où, comme insiste Patrick Meyer en Alsace, le maximum des échanges de nutriments se font pour la vigne, les racines profondes ne servant principalement qu’à réguler l’hydratation de la plante.
Afin de garder cet enherbement intact, tous les travaux de la vigne sont manuels. Cet enherbement est coupé (et non arraché) environ deux fois par an, la seconde fois, peu avant les vendanges quand les brouillards matinaux réapparaissent et ce afin d’éviter une trop grande présence d’humidité. Il est remarquable de se promener entre les rangs des parcelles du domaine et de sentir le sol presque se dérober sous ses pas tant la couche d’humus est lâche.
Chaque plant doit être considéré comme un individu unique,
un personnage à part entière qui doit être traité,
taillé différemment des autres.
Un autre point auquel Luca aime faire référence, c’est que cet équilibre retrouvé permet de travailler exclusivement en sélection massale, lui qui un opposant absolu aux sélections clonales.
Les vignes sont taillées en guyot et conduite assez hautes (2,5 mètres) pour permettre, pendant les chaleurs de l’été une protection importante des grappes, de même le rognage est pratiqué tardivement pour permettre à la plante de concentrer toute son énergie finale vers les grappes.
Dans les vignes de Barolo, la présence de sable où le phylloxéra est moins actif, a poussé Luca à pratiquer du marcottage, soit dévier un rameau de la vigne mère qu’on enracine, puis qui, après une vingtaine d’années est isolé de son cep-mère et se comporte en franc de pied.
En plus de l’aide du sable, Luca estime que la présence aléatoire et en faible quantité de ce type de pieds dans un environnement majoritairement greffé permet d’éviter l’attaque du phylloxéra, ce dernier se montrant bien plus actif sur des ceps bien rangés et groupés. La réalité semble bien lui donner raison.
L’objectif du domaine étant d’obtenir des vins de longue garde (jusqu’à 100 ans) sans perdre la moindre fraicheur ainsi qu’obtenir des tanins murs et fins pousse Luca à se baser pour les vendanges sur la maturité et le croquant des pépins et non la maturation du sucre, ce qui, particulièrement dans les millésimes chauds peut l’amener à vendanger près d’un mois après ses voisins.
Les vendanges, comme le reste du travail, sont pratiquées manuellement et les raisins sont transportés sur les deux sites en cagettes d’à peine 10 kilos pour éviter tout écrasement.
Vinification et élevage
Après avoir été en grande partie égrappés, les raisins sont pressés et macérés dans de grands foudres de bois tronconiques ouverts. Si l’ensemencement est naturel est majoritaire, il arrive aux Roagna de faire appel à des levures autochtones qui ont été sélectionnées, à leur demande, par des amis universitaires.
Les fermentations sont aussi activées au moyen de la technique dite du « pied de cuve » , technique qui utilise des raisins récoltés quelques jours avant les vendanges et dont l’activité fermentaire qui a démarré permet cette forme de stimulation naturelle.
Pendant 8 à 10 jours, le jus est pigé pour casser le chapeau et éventuellement, un peu de remontage peut être pratiqué, mais seulement pendant la phase active de fermentation.
Alors que celle-ci est bien avancée, les foudres sont fermés et survient ensuite une des « marques de fabrique » du domaine où les macérations sont longuement poursuivie dans ces mêmes cuves, et cela de 60 à 90 jours (ce qui est énorme), afin d’extraire autant les tanins des pépins que des peaux, ce qui leur apporte encore plus de saveur. Afin de permettre une infusion optimale du chapeau, celui-ci est immergé en permanence dans le jus à l’aide de planches fixées dans la cuve et qui le maintiennent immergé. Une ouverture peut toutefois y être aménagée afin de permettre à une partie de l’alcool, emportée par le CO2, de s’échapper et ainsi réguler la teneur alcoolique du jus.
Cette méthode permet entre autres d’extraire des composants de type norisoprénoïdes, molécules de type phénoliques très aromatiques essentiels à l’obtention de bouquets tertiaires nobles ainsi que du resveratrol qui a une action anti-oxydante naturelle.
L’élevage se déroule ensuite principalement dans de grands foudres pendant minimum 4 à 5 ans, certains élevages étant poursuivis, comme dans le cas des Riservas et du Crichët Pajé jusqu’à 12 ans, ce qui est vraiment unique en son genre et nécessite de la place, une des raisons de la création du nouveau chai. Les vins font en général l’objet d’un soutirage par an.
A la mise, les vins ne sont ni collés, ni filtrés et sont ensuite encore conservés environ deux ans en bouteille. Presque la totalité de la production (+- 60.000 bouteilles) est exportée, principalement aux Etats-Unis, en Angleterre et en Scandinavie.
Aujourd’hui, le domaine s’étend sur 12 hectares pour élaborer 60.000 bouteilles environ. Les marchés export représentent 95 % de la production, avec pour principaux clients les USA, la Scandinavie, la Grande-Bretagne.
Pour Luca Roagna, seule cette synergie entre une terre vivante, complexe, diverse et le travail de l’homme qui recherche la maturité des pépins et le long travail d’élevage où l’extraction des éléments se fait longuement et en finesse permet l’expression la plus complexe du Nebbiolo, une expression classique dans la structure mais avec une finesse et un velouté rare des tanins. Seule cette synergie permet d’obtenir des vins nobles de grande garde.
Les vins du domaine
Langhe Bianco (DOC)
C’est la fraicheur qui est recherchée dans ce vin blanc à base de Chardonnay issus de La Pira à Castiglione Falletto et de parcelles sur Barbaresco. Du Nebbiolo à raison de 10% vient compléter ce vin afin de lui conférer une touche personnelle.
Cépages : 90 % Chardonnay (La Pira 60% - Barbaresco 40%) – 10% Nebbiolo
Rendement moyen : 60 à 70 hl/ha
Elevage : Pressurage doux, fermentation et élevage en foudres de chêne
Service : 12°C en verres bourguignons
Solea (DOC Langhe)
Même philosophie pour ce vin que dans le Langhe Bianco avec ici des vignes de Chardonnay sélectionnées de 30 ans issues de la Pira sur Castiglione Falletto et du Nebbiolo qui ici peut atteindre entre un cinquième à même un quart de l’assemblage.
Cépages : 75-80% Chardonnay et 20-25% Nebbiolo
Rendement moyen : 55 à 65 hl/ha
Elevage : Pressurage doux et macération de deux semaine du Chardonnay en foudres auquel est ensuite ajouté le Nebbiolo pour poursuivre la fermentation.
Elevage de 3 à 5 ans en foudres moyens puis en bouteille Service : 14 à 15°C en verres bourguignons
Dolcetto d'Alba (DOC)
Seule cuvée qui ne contient pas une trace de Nebbiolo, ce vin recherché à la fois fraicheur, élégance et un grand potentiel aromatique. Si ce vin est fait pour être bu jeune, pour la soif, il tolère souvent un vieillissement de quelques années. Les vignes proviennent des parcelles sur Barbaresco, principalement sur Pajé.
Cépages : Dolcetto 100%, vignes de 35 ans en moyenne
Rendement moyen : 60 hl/ha
Elevage : Après égrappage, les baies sont pressées doucement et fermentées en foudre de chêne avec des macérations de 20 à 30 jours. L’élevage est poursuivi en foudres avant la mise en bouteille endéans les 10 mois.
Service : 18°c en verres bourguignons
Opera Prima (Vino da Tavola )
Avec ce vin, la famille Roagna veut mettre en avant le travail traditionnel au chai et non un millésime précis puisque nous avons ici un « blend » de 2 à 4 millésimes de jeunes vignes (+- 40 ans !) de Nebbiolo du cru Pajé sur Barbaresco
Cépages : Nebbiolo 100%
Rendement moyen : 50 hl/ha
Elevage : macération de 70 à 90 jours, puis vieillissement de 2 à 6 années en foudre de taille moyenne et en bouteille
Service : à 18°C après deux heures d’aération de préférence en carafe.
Langhe Rosso (DOC)
Un vin entre tradition et innovation où le caractère fruité des plus jeunes vignes de Nebbiolo (+- 30 ans) est recherché. Les raisins proviennent à la fois des parcelles de Pajé et de La Pira.
Cépages : 100% Nebbiolo
Rendement moyen : 60 hl/ha
Elevage : Après égrappage et pressurage doux, la fermentation est poursuivie en foudres tronconiques avec des macérations de 30 à 50 jours, sans toutefois rechercher plus d’infusion afin de conserver un caractère jeune et exubérant au vin. L’élevage est ensuite effectué pendant 3 à 4 ans en grands foudres français ou slovènes
Service : 18°C en verres bourguignons avec une aération de la bouteille une heure avant le service.
La Pira (anciennement La Rocca e La Pira) DOCG Barolo
La Pira, anciennement appelée « La Rocca e La Pira » est une cuvée issue des parcelles achetées par Alfredo, le père de Luca et qui sont attenantes à la Cas Roagna (voir géographie et parcelles). On recherche ici clairement un vin très traditionnel, parfois d’une belle austérité avec des accents qui rappellent les vins de Rocche, un des grands terroirs de Barolo.
Cépages : 100 % de Nebbiolo de 35 à 40 ans d’âge
Rendement moyen : 40 à 50 hl/ha
Elevage : Egrappage et pressurage doux, fermentation en foudres tronconiques avec macération de 70 à 90 jours avec la technique d’infusion du chapeau (voir Vinification et élevage) suivi d’un élevage en grands foudres de chêne français ou slovène pendant 4 à 6 ans. Affinage en bouteille de 1 à 2 ans minimum.
Service : 18°C en verres bourguignons après deux heures d’aération de préférence en carafe
La Pira Riserva (anciennement La Rocca e La Pira Riserva) DOCG Barolo
Cette cuvée est semblable à la cuvée « La Pira » classique, sauf qu’elle est issue de vieilles vignes et comme dans la logique des Riserva fait l’objet d’un élevage de minimum une année supplémentaire en cuve. Cette Cuvée n’est produite qu’en cas de grand millésime, autrement, les raisins sont associés à ceux de la cuvée classique.
Cépages : 100 % de Nebbiolo de 1937 et plus
Rendement moyen : 40 hl/ha
Elevage : Egrappage et pressurage doux, fermentation en foudres tronconiques avec macération de 80 à 1000 jours avec la technique d’infusion du chapeau (voir Vinification et élevage) suivi d’un élevage en grands foudres de chêne français ou slovène pendant 5 à 10 ans. Affinage en bouteille de 1 à 2 ans minimum.
Service : 18°C en verres bourguignons après deux heures d’aération de préférence en carafe
Vigna Rionda DOCG Barolo
A son arrivée officielle au domaine en 2001, Luca désirait pouvoir travailler sur une parcelle de grande renommée, ses parcelles de la Pira étant encore assez « jeunes ». Grâce à la collaboration avec Tommaso Canale, un ami de la famille, Luca a pu s’occuper d’1,2 hectare de vignes sur Rionda et vendre ces vins sous le nom Roagna. Cette collaboration a duré de 2003 à 2006 et s’est arrêtée à la mort de Tommaso Canale, ses héritiers ne désirant pas continuer cette collaboration. A noter que bien que vendus sous le nom de Roagna, les vins furent toujours élevés au chais des Canale, à Serralunga.
Cépages : 100% Nebbiolo de 40 à 60 ans d’âge.
Rendement moyen : 52 hl/ha
Elevage : Egrappage et pressurage doux, fermentation en foudres tronconiques avec macération de 40 à 50 jours suivie d’un élevage en foudres de chêne de taille moyenne pendant 2 à 4 ans. Affinage en bouteille de 1 à 2 ans minimum.
Service : 18°C en verres bourguignons après deux heures d’aération de préférence en carafe
Montefico DOCG Barbaresco
Avec ses 1200 bouteilles sur 0.24 hectares, on atteint ici l’idéal de ce que recherche les Roagna, un vin empreint de tradition qui est voué entièrement au terroir et à ses différences, avec des vins plus sur la rondeur, légèrement solaires, presque rhodaniens et une grande complexité des tanins.
Cépages : 100 % Nebbiolo avec des vignes de 50 ans et plus
Rendement moyen : 35 hl/ha
Elevage : Egrappage et pressurage doux, fermentation en foudres tronconiques avec macération de 70 à 90 jours avec la technique d’infusion du chapeau (voir Vinification et élevage) suivi d’un élevage en grands foudres de chêne français ou slovène pendant 4 à 6 ans. Affinage en bouteille de 2 ans minimum.
Service : 18°C en verres bourguignons après deux heures d’aération de préférence en carafe
Asili DOCG Barbaresco
Tout comme pour Montefico, ce cru est issu d’une micro-parcelle de 0.22 ha où tout est mené pour obtenir la meilleure expression du terroir, plus tempéré que Montefico bien que quelques notes solaires peuvent encore se fondre avec la très grande salinité des vins qui en sont issus.
Cépages : 100 % Nebbiolo avec des vignes de 50 ans et plus
Rendement moyen : 35 hl/ha
Elevage : Egrappage et pressurage doux, fermentation en foudres tronconiques avec macération de 70 à 90 jours avec la technique d’infusion du chapeau (voir Vinification et élevage) suivi d’un élevage en grands foudres de chêne français ou slovène pendant 4 à 6 ans. Affinage en bouteille de 2 ans minimum.
Service : 18°C en verres bourguignons après deux heures d’aération de préférence en carafe
Pajé DOCG Barbaresco
Parler de Pajé, c’est un peu parler de Roagna, tellement l’histoire de la famille a marqué ce terroir de deux hectares et qui, aujourd’hui, se distingue tellement des voisins par son enherbement extrême à tel point qu’on les traite au village par humour de « sauvages » ! Mais ce qui préoccupe avant tout Luca et son père, c’est de chaque année rendre la finesse incroyable et le fruit généreux que Pajè peut livrer, le tout emballé dans une impression de classe évidente.
Cépages : 100 % Nebbiolo avec des vignes de 35 à 40 ans
Rendement moyen : 45 à 55 hl/ha
Elevage : Egrappage et pressurage doux, fermentation en foudres tronconiques avec macération de 70 à 90 jours avec la technique d’infusion du chapeau (voir Vinification et élevage) suivi d’un élevage en grands foudres de chêne français ou slovène de taille moyenne pendant 4 à 6 ans. Affinage en bouteille de 2 ans minimum.
Service : 18°C en verres bourguignons après deux heures d’aération de préférence en carafe
Pajé Riserva DOCG Barbaresco
Cette cuvée est issue, dans les meilleurs millésimes, des vignes les plus âgées dans la partie centrale du cru mais pour le reste ne subit aucun traitement différentiel par rapport à la cuvée classique si ce n’est que, comme toute Riserva, son élevage sera encore plus long. Ces vignes sont aussi un peu plus tardives.
Cépages : 100 % Nebbiolo avec des vignes de 50 ans et plus
Rendement moyen : 45 hl/ha
Elevage : Egrappage et pressurage doux, fermentation en foudres tronconiques avec macération de 80 à 90 jours avec la technique d’infusion du chapeau (voir Vinification et élevage) suivi d’un élevage en grands foudres de chêne français ou slovène de taille moyenne pendant 8 ans et plus. Affinage en bouteille de 2 ans minimum.
Service : 18°C en verres bourguignons après deux à trois heures d’aération de préférence en carafe.
Crichët Pajé DOCG Barbaresco
Cette cuvée est indéniablement le sommet de ce qui se fait au domaine à partir de très vieilles vignes situées au-dessus de celles qui sont communément employées pour la Riserva, et comme pour les Riserva, cette cuvée n’est produite que dans les meilleurs millésimes, en très faible quantité (+- 800 bouteilles), et cela avec tout le soin nécessaire pour obtenir la quintessence de l’expression de la tradition à travers des arômes tertiaires d’une très grande complexité et des tanins d’une noblesse époustouflante. Revers de la médaille, cette très rare cuvée se négocie le plus souvent au-delà de 300 euros, mais en termes de garde la récompense est toujours présente au bout d’un long cheminement de 20 à trente années d’attente. A réserver à … la méditation ! Comme pour les Riserva de Pajé, les vignes sélectionnées sont parmi les plus tardives en Barbaresco.
Cépages : 100 % Nebbiolo avec des vignes de 55 ans et plus
Rendement moyen : 35 hl/ha
Elevage : Egrappage et pressurage doux, fermentation en foudres tronconiques avec macération de 90 à 100 jours avec la technique d’infusion du chapeau (voir Vinification et élevage) suivi d’un élevage en grands foudres de chêne français ou slovène de taille moyenne pendant 8 ans et plus. Affinage en bouteille de 3 à 4 ans minimum.
Service : 18°C en verres bourguignons après deux à trois heures d’aération mais de façon très précieuse.
Barolo Chinato
Le Barolo Chinato est produit au domaine depuis que le domaine existe, et cela sur base d’une recette ancestrale. Historiquement, ce type de vin est apparu peu avant la naissance du nom « Roagna », au milieu du 19e siècle. Ce type de vin, voué à l’apéritif et au dessert est en fait obtenu par infusion de Nebbiolo avec de l’écorce de Quinquina Calissaya et des herbes médicinales alpestres et est aussi enrichi en alcool pour atteindre 16°. Ce vin a d’ailleurs très longtemps un usage médicinal apéritif et fébrifuge. Sa couleur ambrée et ses notes très amères mais très digestes sont raffinées par une grande salinité.
Cépages : 100 % Nebbiolo issu de la DOCG Barolo
Rendement moyen : 35 hl/ha
Elevage : Macération de différents millésimes de Barolo Riserva de La Pira avec les extraits alcooliques de l’écorce de quinquina et les herbes.
Service : Seul ou sur des desserts chocolatés.
A cette production de différents vins, il y a lieu encore d’ajouter 3 sortes de Grappa. De temps à autres une cuvée de Barbera semble compléter la gamme.
Dégustation
Avec la dégustation de décembre 2013 qui suit et à travers 15 bouteilles de millésimes et de terroirs différents (dont une majorité de 2007 et 2008). Au domaine, en août 2013, alors qu’ils venaient d’être mis en bouteille que quelques semaines avant (donc avec un affinage plus court que d’habitude), les 2008 dégageaient déjà un équilibre impressionnant entre fruit, puissance et tanins terriblement fins. Pour le besoin de la dégustation, les bouteilles ont été ouvertes 5 heures avant et conservées droites à une température de 22°C avant d’être légèrement rafraichies pour le service (18°C).
Nous ne parlerons pas ici des robes qui en dehors de l’empreinte du vieillissement sont relativement toutes comparables, d’un rubis foncé plus soutenu que chez Rinaldi, Giuseppe Mascarello ou autres vignerons de l’école naturelle.
Barolo La Rocca e La Pira 2004
Le nez est bien ouvert, dense et complexe avec des notes de fruit noir, d’humus, de fumées et d’écorce d’orange.
En bouche, malgré le caractère encore souvent serré du millésime, on ressent ici une légère évolution très positive sur la finesse, la matière paraissant du coup plus légère, aérienne d’autant que l’équilibre entre les tanins totalement intégrés et l’acidité parfaite en rajoute une couche dans cette sensation de fraicheur aérienne. Sur la belle finale, une touche d’amertume noble et une salinité de plus en plus sensible parachèvent un superbe vin.
Barolo La Pira 2007
Et si 2007 était en Piémont un millésime de pure merveille ? Tout porte à le penser en tous cas avec cette Pira dont le nez annonce réellement la couleur avec une puissance sur le fruit juteux incomparable alors que derrière les notes plus forales, minérales et de bois d’acacia se bousculent pour le plus grand bonheur de la complexité perçue.
Si les tanins sont ici, de par la jeunesse, encore assez structurés, l’acidité ciselée digne d’un grand riesling calcaire rafraichît cette structure, lui confère beaucoup de finesse et surtout fait exploser le caractère mûr et juteux déjà perçu au nez. La longueur n’a, non plus rien à envier au reste…. Magique !
Barolo La Pira 2008
On gagne encore en puissance par rapport au 2007, avec des sensations encore plus mûres mais une complexité qui est encore un peu en retrait derrière l’énormité du fruit.
En bouche, ce fruit mûr est aussi bien présent, l’acidité tendue, les tanins fins et l’amertume douce complètent le tableau pour donner une belle sensation d’équilibre, sauf que tout cela semble encore un peu éparpillé et a besoin de temps pour se fusionner complètement. Si cette structure un peu en étoile confère au vin une sensation plus sérieuse, surtout en finale, l’annonce très prometteuse d’une grande garde est bien là.
Barolo La Pira 2008 Vecchie Vigne
La transition entre la cuvée classique et les Vieilles Vignes est énorme, presque étonnante, tellement le nez, même s’il semble encore plus dense est plus aussi ouvert, plus généreux, avec en plus du fruit de légères notes boisées, très intégrées, un poil de solarité mais absolument pas compoté et surtout cette sensation de fraicheur, presque oxydative qui donne à la palette aromatique une belle envolée aérienne.
En bouche, la sensation d’un énorme extrait sec est évidente et si le fruit est plus sanguin, plus métallique et que les tanins sont encore assez serrés, l’acidité cinglante et le fruit très mûr proche de la prune viennent donner un côté buvabilité inouïe à ce vin, avec en finale une rondeur et une légère volatile qui rappelle un Château Musard d’un tout grand millésime. Ce vin devrait faire le bonheur absolu de ses détenteurs dans une dizaine d’années… Enorme !
Barolo Vigna Rionda 2004
Nouveau changement de cap aromatique avec cette Vigna Rionda, d’abord un peu fermée, dont le nez, quand il finit par se livrer dégage de l’animalité, du viandeux et des arômes de de bouillon. Les plus patients sont gagnants parce que le vin finit par se livrer ensuite beaucoup plus sur une harmonie complexe entre fruit et cacao.
En bouche, si la sensation de matière est réelle, on est ici, par rapport aux vins précédents, plus sur une fine légèreté suave plus que sur une structure austère comme aurait pu faire penser le nez.... et si la longueur n’atteint pas celle des vins précédents, elle n’en est pas moins fraiche avec des sensations minérales, calcaires et des amers qui s’affirment doucement. Un vin plus simple, en dentelle, salin mais qui souffre de l’effet de séquence avec la puissance du précédent.
Barbaresco Pajé 2003
A l’étonnement général, la dégustation ne se faisant pas à l’aveugle, le nez est très loin de faire penser au caniculaire 2003, il serait même sur une belle et agréable finesse, avec un petit côté joyeux, un fruit rouge assez présent mais certainement pas compoté.
Idem du côté de la bouche qui est fruitée, fraiche, assez tannique mais pas sèche, croquante même, avec un côté presque brut de cuve sur des équilibres très hauts et quelques jolies notes de bois de santal pour égayer le tout. Certes, il y a moins de matière, mais quelle fraicheur, une des plus belles réussites rencontrées sur ce millésime assurément.
Barbaresco Pajé 2004
Si on pouvait en toute subjectivité établir un modèle de millésime qui a besoin de beaucoup de temps pour s’ouvrir, 2004, en Piémont reviendrait certainement souvent sur la table… et si le Barolo La Pira dégusté plus haut avait étonné par son ouverture, c’est moins le cas ici, sans crier à la réduction pour autant , mais ce nez est indéniablement fermé, serré, et aromatiquement il va sur le chou, le cuir, le tabac blond… sans réussir à livrer son fruit.
En bouche, le vin se livre nettement plus, avec des tanins sérieux mais très purs, une sève noble, une sensation de matière énorme mais fine, élégante, un peu monacale. En fait ce vin est terriblement authentique dans sa volonté de se rapprocher d’un classicisme évident, l’enrichissement en sucres en moins. Captivant.
Barbaresco Pajé 2007
Confirmation de la « forme » spectaculaire des 2007 du domaine avec ce nez splendide, réellement magnifique de complexité, de fruits noirs, de bourgeons de cassis et de notes d’humus, bien plus sur une certaine belle austérité que quelque exubérance solaire ou alcoolique.
On retrouve cette puissance complexe toute contenue sur une suavité magistrale en bouche, avec des tanins d’une finesse exceptionnelle, une fraicheur à l’acidité millimétrée, des notes sanguines profondes mais pas métalliques et une longueur en finale tout simplement proche voire égalant la perfection. Un très très grand vin à goûter absolument !
Barbaresco Pajé 2008
Si par rapport au 2007, ce Pajé 2008 garde une très forte sensation de complexité au nez avec une aromatique très comparable, mais on est ici sur un registre beaucoup plus puissant où les éléments doivent encore se fondre. A noter quelques sensations d’épices et de pierre mouillée qu’on ne rencontrait pas sur le 2007.
En bouche, si la matière très concentrée paraît encore assez serrée, on ne peut s’empêcher de rester béat sur la qualité de le structure tellement verticale, tendue et aérienne. Sur la longueur, énorme, ce vin confirme ses promesses pour les dix prochaines années. Un modèle du genre qui réussit à faire l’unanimité du groupe.
Barbaresco Pajé Vecchie Vigne 2008
Si le nez est ici plus fermé, que quelques notes lactées en début d’ouverture pourraient faire penser à une marque d’élevage encore jamais rencontré au domaine, cette sensation disparaît très vite au profit d’un nez réservé mais noble, méditative, où épices de poivres blanc et notes très minérales se disputent le parloir.
La bouche est dense et si les tanins sont aujourd’hui plus marqués, plus serrés que sur la cuvée classique, que le vin, par sa réserve, semble plus monastique, il balance un tel équilibre, une matière déjà tellement intégrée et pure, une longueur tellement époustouflante que tout le monde abonde dans le sens qu’on tient là, une perle et certainement le coup de cœur de la dégustation, même si celle-ci volait déjà très haut, globalement .
Barbaresco Pajé Riserva 1998
Pour tout avouer, cette bouteille nous a été servie à l’aveugle, dans le sens que Luca m’en avait confié quelques exemplaires, me disant, les yeux pleins de malice, que je n’avais qu’à trouver de quoi il s’agissait. Si sur les bouteilles dégustées précédemment, on reconnaissait la trempe d’un grand Pajé et que, du coup, on pensait bien à une Riserva, cela demandait confirmation et l’occasion de la présente dégustation devait faire office de confirmation.
Confirmation d’un grand Pajé, il y eut, rien que par la complexité du nez. Le côté un peu boîte à cigare pouvait nous faire penser à une Riserva. L’évolution de ce nez nous indiquait bien aussi qu’on était dans des millésimes plus anciens, mais les Riservas de Roagna peuvent faire l’objet de tels longs élevages en foudres qu’il est difficile comme cela de trouver.
En bouche, on retrouve cet équilibre à la maitrise absolue, des tanins soyeux, une fraicheur encore vive, une matière un peu plus en retrait, presque plus rustique mais toujours appelant à la méditation. En fonction de nos expériences précédentes, on risque 2004… il s’agit de 1998…. Respect et une belle occasion de voir comment évoluent les vins du domaine, même si Luca, à l’époque, n’avait pas encore imposé sa patte dans la conduite des vignes.
Barbaresco Montefico Vecchie Vigne 2007
Gros changement de sensation avec ce premier vin issu d’une des deux micro-parcelles de Barbaresco (0.24 ha) avec, ici, un nez ouvert d’emblée, un soupçon lacté, floral, avec une sensation de figue fraîche mais aussi quelques lourdeurs comme du bois de cèdre et un soupçon de vernis.
En bouche, si l’impression de matière est présente, elle l’est moins que pour les cuvées de Pajé, ce qui fait que l’équilibre est un peu déplacé vers la fraicheur, l’acidité étant ici angulaire ou encore vers un côté un peu rhodanien, à la limite du bourru un peu sec. Les tanins par contre respectent leur marque de fabrique et le vin a tendance à devenir plus harmonieux, plus fin si on l’attend ce qui fait penser qu’un carafage eut été nécessaire. A revoir.
Barbaresco Montefico Vecchie Vigne 2008
Par rapport au 2007, on reste pleinement sur les mêmes sensations aromatiques, aussi ouvert, d’emblée, quelques notes mentholées étant aussi de la partie.
La matière en bouche est plus dense, plus ronde et donc plus équilibrée, plus prometteuse, bien que l’on retrouve cette solarité rhodanienne avec des épices, des notes métalliques et surtout une pointe de sucrosité en finale qui a certainement besoin de s’intégrer pour que ce vin soit plus en place.
Barbaresco Asili Vecchie Vigne 2007
On passe ensuite à la deuxième micro-parcelle (0,22 ha), elle aussi assez exposée au Sud. Au nez, on retrouve certaines sensations perçues sur Montefico, sensations rhodaniennes de fait, mais l’ensemble est plus complexe, plus intégré, avec un fruit rouge moins sec, plus juteux, plus frais....
En bouche l’équilibre est marqué par la matière énorme, encore un peu jeune et légèrement sudiste mais sans les pointes de lourdeurs trouvées sur le Montefico 2007. En finale, les notes fines de porto et de cigare, nous amènent sur un Amarone… tout en finesse.
Un vin déjà intéressant mais qui, à coup sûr, devrait mieux se livrer dans 5 à 10 ans, quand cette « matière » se sera intégrée et que l’acidité réussira à mieux la tempérer.
Barbaresco Asili Vecchie Vigne 2008
Si le nez de l’Asili aimait flirter avec les aromatiques des Montefico, on retrouve ici des sensations bien plus proches de Pajé, pour la complexité, la puissance qui a besoin d’aération pour donner sa pleine mesure, avec en sus des belles notes de fruit rouge frais et un floral très aérien.
En bouche, si la matière est toujours aussi énorme, il y a bien plus de jus, de droiture dans la fraicheur, de précision dans les tanins et on est charmé par les notes supplémentaires de légère amertume, de craie, le tout sous un véritable dôme de salinité. Côté longueur, on retrouve le niveau du Pajé Vieilles Vignes 2008, splendide ! Un vin qui va au fur et à mesure encore grandir pour devenir mythique dans 5 à 10 ans.
Conclusion
Que retenir de tous ceci ? Beaucoup, c’est évident mais avant tout, ce qui frappe, c’est l’empreinte permanente du « style Roagna » avec cette véritable réussite à faire des vins qui ont des tanins précis, intégrés, veloutés, même si pour cette dernière observation, on est quand même sur plus de relief classique que sur des vignerons comme Giuseppe Mascarello et Beppe Rinaldi.
Le deuxième point majeur, un peu moins retrouvé sur Montefico mais pleinement exprimé sur Pajé et sur La Pira, c’est ce côté tellement aérien et salin des vins malgré leurs structure très costaude et leurs extraits secs très élevés. Le responsable de cet état de grâce est largement ces acidités tranchantes, pures, presque jamais volatiles, qui comme une gaine bien serrée, donne une structure élancée à ces vins. Ceci est indéniablement un témoin du très gros travail de surveillance fait tout au long de l’élevage.
Enfin, même si la plupart de ces vins demandent de la gastronomie, du gibier accompagné d’un risotto au Nebbiolo, ils sont aussi brillants à s’exprimer seuls, en pure méditation.
Même si mes notes personnelles et celle du groupe de dégustation ne sont pas données (par choix volontaire), je peux vous assurer qu’elles furent unanimement parmi les plus hautes depuis très très longtemps.
Luca Roagna et son père sont plus que probablement parmi les meilleurs artisans du Piémont, profondément ancrés dans les convictions ancestrales, tout en ne rejetant jamais les leçons de l’expérience et de la modernité si elle est au service de la pureté, du vivant et du vibrant.
Vous ne pouvez en aucun cas ignorer ces vins…. Ils sont incontournables
Contact
Luca Roagna
Azienda agricola I Paglieri
Loc. Paglieri 9 12050 Barbaresco (Cn) Italia
Ph. +39.0173.635109
Fax +39.0173.635109
Mail : info@roagna.com
Web : www.roagna.com
Sources
Visite au domaine (08/2013)
Dégustation privée de la gamme (11/13)
Site web du domaine : www.roagna.com
Le Rouge et le Blanc n°102 Tronches de Vin (Editions de L’Epure)
Vini Naturali d’Italia – Giovanni Betti (Edizioni Estemporanee)
Bourgogne WineBlog (Patrick Madart)
La Pipette aux 4 vins (Philippe Rapiteau)
Le Blog d’Olif (Olivier Grosjean)
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