Le cépage autochtone... une réalité de terroir ?
C’est en dégustant un fort bon Cabernet Sauvignon, « Amaë 2012 de Fuori Mondo » pour ne pas le citer, que l’envie me vient de terminer l’année sur ce blog en parlant cépages, un peu à la manière où récemment, j’abordais la notion de soufre.
Préambule
Un de mes défauts majeurs est de trop souvent faire preuve de militantisme vis-à-vis de mes opinions.
Lorsque, il y a maintenant une quinzaine d’années, j’ai commencé à dériver assez logiquement des rouges parkerisés vers les blancs en bio/biod et puis carrément vers le « naturisme », je me suis fichu en tête une espèce d’obligation pour un vin d’exprimer un terroir à partir du ou des cépages historiques de ces terroirs.
J’avoue, et je serais étonné que les vignerons de Bourgogne ou du Rhône Nord me contredisent, que vis-à-vis du vignoble français, ce genre de quête affirmative n’est pas trop difficile à tenir, d’autant que l’INAO fait très bien cela toute seule….
Et quand cette dernière lâche des rênes pour permettre la dissémination de la syrah en Languedoc-Roussillon, ce n’est pas exactement ce genre d’assouplissement qui m’aurait fait changer d’avis tant ce cépage « sous le soleil » peut souvent partir en couille, je veux dire en surmaturité sirupeuse.
Et toujours pour rester face à la Méditerranée, les nombreuses occasions de l’époque de boire de merveilleux carignans centenaires achevaient de me persuader.
Dans cette optique, l’ennemi juré de la délocalisation ampélographique devient forcément très vite le cabernet sauvignon avec lequel, en dehors de son bastion bordelais, le pire a été commis, déjà qu’en bordelais même, on ne peut pas vraiment parler d’un vecteur de terroir, tant le brave cépage a été physico-chimiquement tourné à toutes les sauces.
Et là, rien ne vaut l’exemple Sassicaia pour faire haro sur le baudet, même s’il est difficilement peu réfutable que la Toscane actuelle doit une grande partie de son renouveau grâce à la focalisation du Mondovino sur les pentes de Bolgheri et tous les autres supertoscans qui en ont découlé.
Mais comment ne pas s’emporter pour la cause unique du Sangiovese (omettant Cillegiolo, Colorino et Canaiolo, au passage), alors que l’illustrissime Giacomo Tachis, auteur du Tignanello, de Solaia et « améliorateur » du Sassicaia prétendait très vite, sa Toscane réanoblie, que la vérité se trouvait dans le Sangiovese et nulle part ailleurs.
Ma cause était entendue, comme de laisser le Pinot Noir en sa Bourgogne, le Gamay en son Beaujolais, il fallait bouter le Cabernet Sauvignon hors de la botte.
La singularité alsacienne et Jean-Michel Deiss
Le premier grain de sable dans le rouage de l’Opus Ampelographici dont je m’étais fait Grand Inquisiteur vient de l’Alsace, région si chère à mes papilles, comme tout le monde le sait.
Sa singularité de l’époque (puisqu’il paraît que dans 10 ans on parlera autrement) était de glorifier le cépage roi en son terroir, à tel point que, tout comme en Loire avec le Chenin), on était lourdement tenté de vouloir bouter hors de sa table tout ce qui n’était pas Riesling, à l’exception des prédiabétiques en mal de sirop de Liège.
Bref, cette singularité de la région (comme le sanglier l’est au cochon) était de mettre au moins sur les étiquettes le cépage en avant du terroir, et a fortiori, de présenter son danseur étoile de Riesling comme vecteur absolu de la grande tradition alsacienne, terme utilisé en son temps par Michel Bettane et que je réfute aujourd’hui bien évidemment.
Mais avant de m’être porté à la rencontre des vignerons et du vignoble alsacien, j’avoue m’être moi-même transformé en rieslignophile monomaniaque convaincu.
Et puis, il y a eu justement ces rencontres avec des Seltz, Landmann, Frick, avec Mittelbergheim pour que le sylvaner, le gentil petit sylvaner me fasse douter plus qu’un tantinet.
Mais quand on veut être têtu, pas besoin de consulter ; il ne me fut pas trop difficile de rester inquisiteur modifiant juste un petit réglage qui me faisait alors dire (comme encore 90% des alsaciens) que seuls l’entièreté des cépages historiquement alsaciens avaient droit de terroir sur les pentes vosgiennes.
C’est là qu’intervient le second grain de sable, bien plus gros celui-là, en la personnification de la lutte sur les appellations engendrée par Jean-Michel Deiss et ses proches.
Ne parlons pas ici de la complantation, du caractère particulier des vins du domaine, mais intéressons-nous de très près à sa lutte qui veut remettre le cépage à sa juste place, soit après le terroir.
Si les esprits grognons en discuteront l’idée dans la pratique, il est un argument incontournable du père Deiss, c’est qu’avec la mondialisation du vin et la libéralisation du greffage de tous les cépages dans toutes les régions du monde, il va devenir de plus en plus difficile et certainement hautement prétentieux de défendre l’identité vinique de sa région à travers ses cépages seuls.
Avoir en effet la prétention de prétendre qu’on vinifie mieux le riesling ici qu’ailleurs ou que seuls les sols alsaciens sont capables de sublimer ce cépage, c’est se fouttre un pouce de maçon dans l’œil, à long terme, très certainement, à moyen terme tout autant, et à court terme tout aussi certainement si on vit hors de France.
Parce que il faut que les choses soient claires : le miracle bordelais qui a réussi à transformer souvent des pseudos terroirs en engins de spéculation absolue, réussissant par là-même à transformer les cabernets sauvignons néo continentaux ou hors hexagonaux en cabernet sauvignon de seconde zone n’aura pas lieu deux fois de suite, déjà que depuis vingt ans les Mondavi ou les Sassicaias Boys revendiquent tout aussi lourdement leur part de terroir.
A terme donc, c’est l’Alsace, puis la Bourgogne, la Loire et le Rhône sur qui pèse une grande menace de véracité si le cépage est défendu en cause principale.
L’Italie
L’autre motif qui me pousse à l’écriture de cet article est bien entendu la manière terriblement différente qu’ont les Italiens d’aborder le cépage vis-à-vis du terroir.
Bien sûr, il y a le roi Nebbiolo en Piémont, le prince Sangiovese en Toscane, le comte Teroldego en Trentino ou encore les barons Frappato, Nero d’Avola, Aglianico, Montepulciano d’Abruzzo dans leurs régions respectives, mais ces beaux arbres cachent une forêt bien plus joyeusement anarchique.
D’une part le dictionnaire ampélographique italien est deux fois plus riche que le français, et d’autre part, le fait de snober les cépages français mis en botte est une grosse erreur historique.
Je m’explique…
Si on admet les dires du grand professeur Bettane quand à la définition historique de ce que sont les grands vins traditionnels de France, on se rend compte qu’il parle le plus souvent d’une tradition de vigne et de cave née au milieu du 20e siècle, alors, que dire des Mourvèdre, Merlot, Grenache, Cabernet Franc, Syrah et autres cépages méditerranéens, qui, s’ils n’existaient pas déjà d’eux-mêmes de Turin à Palerme, furent largement disséminés plus de cent ans avant par les grognards bonapartistes dont la soif égalait l’art de la guerre ?
Bref, prétendre aujourd’hui que ces cépages ne sont pas historiques de l’Italie reviendrait probablement à gommer 80% de la surface viticole … française !
Si vous désirez en savoir plus, demandez à Laura Collobiano, la taulière de la Tenuta di Valgiano, elle est intarissable sur le sujet et ses vins sont foncièrement méditerranéens !
Le Cabernet Sauvignon italien
Reste le Cabernet Sauvignon italien… celui-là, il a en a déjà fait couler des lignes, allant même au talentueux Vincent Pousson à proclamer récemment l’anathème d’anticabernetisme primaire sur ma pomme...
Si l’auteur du vin qui motive cet article, Olivier Paul-Morandini de Fuori Mondo, semble, avec une ou deux personnes de mes connaissances soutenir que ce cépage n’est pas arrivé en Italie suite à la passion commune pour les champs de courses français entre la famille Incisa della Rocchetta et les Rothschild de Mouton.
N’ayant pas le temps de me lancer dans une thèse d’histoire, je préfère laisser la légende parler et laisser à un canasson de concours… le concours de l’arrivée du cabernet sauvignon en Italie. Cette fainéantise ne changera pas grand-chose de la vision que nous avons pour les supertoscans et leurs origines, tant Olivier et moi avons en commun cette répugnance de cabernets toastés en fûts chêne neufs et surextraits.
Parce que force est de constater que ce cépage, abordé d’une manière « naturelle » à la vigne et en cave, se comporte avec énormément de classe et de profondeur minérale…. Et le cas de Fuori Mondo n’est pas unique, à Fonterenza, Colombaia ou hors de Toscane, à la Stoppa, la sauce prend même très bien.
Conclusion
Que penser de tout cela ? A vrai dire qu’il semble illusoire de prétendre que seul tel ou tel cépage mérite un terroir donné, du moins si on se tient à des règles établies. Le mouvement des Vini Naturali d’Italia qui reflue largement des DOC(G) vers les IGT et les Vini di Tavola nous montre clairement que s’obstiner sur un cépage historiquement autochtone est une forme d’aberration, parce que cela induit un refus intellectuel d’au moins tenter de voir si un autre cépage ne s’épanouirait pas mieux sur tel ou tel sol, sans pour autant en faire une généralité.
Les conservateurs crieront peut-être à l’iconoclaste... Pour les Appellations françaises, comme elles sont réglementées aujourd’hui, probablement… oui.
Pour le respect ou la sublimation du terroir, c’est moins sûr… parce que des grands terroirs, il y en a aussi… au Chili !
Meilleurs voeux !