Manifeste contre la peur, l'inconnu, manifeste pour le vin naturel
"Le vin naturel sera l'eau douce de nos révolutions (A. Iommi-Amunategui)..."
Comme à peu près tous les trimestres sur ce blog, il me faut revenir à nouveau sur le « vin naturel » et les débats passionnés qu’il soulève bien plus que ses défauts.
Oui, des défauts, la « nébuleuse » naturelle du jus de la treille en a, et même plus souvent que d’autres types de production du vin.
Aucun de ses adeptes n’a prétendu, ne prétend et ne prétendra le contraire, à l’exception, bien entendu d’une frange infime correspondant à une extrémité d’une courbe de gauss de la passion.
Mais, rien à faire, même si on parle ici d’un infime pourcentage de la viticulture, même si les tentatives de dialogue et de bien vivre « ensemble » se créent bien plus qu’avant, la « res natura » continue à susciter la tempête, et cela de plus en plus fréquemment.
Un récent et incandescent exemple en date de cette fureur est le post du surnommé « Rosebud » dans le forum La Passion du Vin, un post titré « Salon rue 89 des vins natures, militants passionnés mais des vins déroutants et dénaturés » et qui fait référence à la visite de l’auteur au récent Salon Rue89 des vins de Paris, visite qui s’apparente à une adaptation vinique de la jungle de Deer Hunter ou autre Apocalypse Now.
Bien que le lien ci-dessus vous permettra de juger de l’entièreté de la prose de ce chevalier des vins droits, je ne résiste pas à vous en citer quelques extraits, qui vous l’avouerez, proférés pour une autre catégorie de vins seraient assimilés à des propos proches de la haine, d’autant que sans nommer le moindre vin ni domaine, ils s’attaquent à la fois au vin, mais aussi, et c’est plus relevant de ce type d’attaques, au vigneron :
… A part des échanges sympas et intéressants autour de cigarettes ce fut une perte de temps (quelque 5 heures sur place) et de gouts. Une forte déception, une grande amertume et acidité de voir tant de moyens déployés pour de si faibles rendus qualitatifs…
… Si des blancs furent corrects pour certains, les rouges furent en grande majorité impossibles, troubles, déséquilibrés, non structurés, simplistes ou alcooleux, trop solaires, oxydatifs...
Tous se ressemblant plus ou moins d’une région l’autre. Beaucoup assommés par un élevage marquant et suspect, pour masquer certains raisins?
Mais où certains ont-ils appris à vinifier?
Certains devraient prendre des cours du soir ou de rattrapage sur internet…
Le sommet du genre étant «assommés par un élevage marquant et suspect », parce que là, j’avoue que, par rapport à d’autres prestigieuses manifestations comme le Grand Tasting, j’ai du mal à comprendre où, à Rue89, ces vins furent aussi nombreux, mais cinq années de sévices au naturel ont dû certainement provoquer sur mes papilles des nécroses aux retombées irréversibles.
Comme quoi, quand on n’aime pas ou ne veut pas aimer, on peut tout reprocher, tout et son contraire !
La seule éclaircie du post concerne une bière que je présentais à ce salon, soit une Jambe de Bois de la Brasserie de la Senne à Bruxelles, et je vous avoue en être bien marri, car ceux qui connaissent mon caractère sanguin imaginent bien que vis-à-vis de ce Monsieur, le gosier n’était probablement pas la destination idéale.
Je sais, dans ce cas, comme dans nombreux autres, il faudrait laisser couler…
Mais, rien à faire, il faut que je (re)prenne la plume, car cela fait maintenant trois jours, que, de retour du salon précité, cette attaque en règle n’a de cesse de me faire réfléchir au pourquoi de tant de virulence si souvent rencontrée alors que nous parlons bien ici de 3% du monde vinique en terme de superficie, alors qu’en terme de cols, cela doit ressembler à une aiguille dans une botte de foin.
En fait, deux raisons à cela, je pense :
La première, c’est que ces vins sont bien plus médiatisés que ce qu’ils ont de poids, et que cette médiatisation leur confère une telle notion alternative qu’ils génèrent beaucoup trop d’excès, comme une présence effectivement trop forte dans un milieu surtout parisien où le jus n’est hélas qu’un prétexte d’auto-mise en alternative, qui va souvent à l’aveuglement de proclamer irrésistible un vin bourré de défauts.
Cette attitude caricaturale, je la combats chaque jour, bien plus que vous, Monsieur Rosebud, parce que c’est précisément elle qui porte le plus atteinte à un monde de vignerons qui n’en demandait pas tant, loin s’en faut.
La seconde raison, qui découle des nombreux salons, livres et reportages des récents mois, c’est que la nébuleuse des Vins Naturels fait peur, cette fameuse « peur de l’autre » qui fait systématiquement réagir la majorité en espèce menacée par ces différences qui dérangent.
Et probablement qu’ils n’ont pas tout à fait tort, car ce mouvement est bien en train d’égratigner l’image de leur oenophilie confortable, même si, de fait, la dernière chose que désire le microcosme des vins naturels, c’est de rentrer en guerre pour devenir calife à la place du calife.
Parmi ce qui fait la différence, la plus grande part restera toujours socialement la peur de l’inconnu.
Permettez-moi à ce stade, une digression que je sais que certains trouveront malheureuse : Quand nos pays connurent leurs premières vagues d’immigration africaine, elles ne dérangeaient strictement personne parce qu’elle se limitait, au royaume du plein emploi, à 100 pieds sous terre dans les mines ou autre enlèvement des ordures.
Bref, on ne la voyait pas. Mais du jour où ces frimousses basanées ont montré leur nez, la peur pointa vite son nez, cette peur qui s’appuie sur la méconnaissance absolue de l’autre, j’entends par là, de tout ce qui entoure « l’autre » et qui se fait jour.
Quand Overnoy, Lapierre, Chauvet, Bellotti, Frick et autres compères ont lancé il y a déjà tant d’années la notion de vin naturel, ils ne dérangeaient non plus personne…
Digression, certes, malheureuse peut-être, mais pourtant qui colle si bien au modèle, à l’image du vin naturel, d’autant que ce dernier n’a, à ce jour, même pas de définition réelle. Et c’est probablement là que le bât blesse le plus, sans définition, trop « nébuleux » comme je le caricaturais plus haut, l’inconnu est pris carrément pour une forme de peste à combattre avec la plus grande véhémence.
J’en étais là de mes réflexions quand, hier soir, la fatigue des jours intenses du salon Rue89 passant, je me suis attaqué au courageux opuscule d’Antonin Iommi-Aminategui, « Manifeste pour le Vin Naturel », « manifeste » où le grand communicateur et désormais bloggeur RVF de l’année (No Wine is Innocent) qu’est notre Vindicateur réussit avec beaucoup de brio à dresser un état des lieux du vin qu’il défend, allant même jusqu’à le définir.
Ce « livre-essai » réussit en effet, sans la moindre trace de véhémence, à dresser un portrait objectif du vin naturel et surtout de le replacer à l’endroit qu’il se doit d’occuper, une TAZ ou « Temporary Autonomous Zone » alimentaire dont la raison d’existence est plus que probablement, de la part des vignerons qui en sont « coupables », une volonté de contre-culture.
Et j’avoue adhérer totalement à ces écrits d’autant que cette contre-culture va exactement dans le même sens que celle qui, au niveau « solide », motive le mouvement Slow Food, cette contre-culture qui fait que la destruction du système par un schéma révolutionnaire classique n’est plus un préalable à l’établissement d’une société idéale, alors qu’au contraire, les alternatives dans le réel et le présent ont la capacité, par la preuve de leur viabilité, de révéler les contradictions de l’ordre établi et de le faire vaciller. Ces propos de Steven Jezo-Vannier que cite Antonin dans son ouvrage collent très bien à la peau du vin naturel. Ils sont le préalable absolu à l’ébauche de toute définition du mouvement et expliquent parfaitement l’émergence de la virulence des réactions à son encontre, tout comme si le vin naturel devait être soudainement combattu à la façon d’Ebola… parce que le vin classique, que le « naturel » met en réflexion sans le combattre, se sent soudainement désemparé et préfère dès lors la confrontation en règle.
Antonin Iommi-Amunategui
Je convie donc tout un chacun, Monsieur Rosebud compris à se procurer le « Manifeste » en cause, tant, au-delà du vin lui-même, en moins de 20 pages, il apporte une réflexion très juste sur ce que représente notre avenir alimentaire et donc… social.
Il apporte aussi beaucoup de paroles apaisées et apaisantes de vignerons, bloggeurs, écrivains qui n’ont pas commencé hier, avec le vin naturel, et qui, jamais, à l’instar des sieurs Overnoy, Puzelat, Feiring et Grosjean n’ont induit dans leur passion quelque fureur que ce soit, au contraire, seule la joie de vivre, dans la communauté festive, a été leur manifeste d’existence.
Un nouvel ouvrage, incontournable, donc !
Manifeste pour le Vin Naturel
Antonin Iommi-Amunategui
Les Editions de l’Epure-Marie Rocher
ISBN -978-2-35255-219-2
Prix : 7 euros
Actuellement uniquement disponible sur www.epure-editions.com et sur évènements.
Disponible dans toutes les bonnes librairies dès le 24 août 2015 !