Lettre ouverte à Carlo Pietrini, président de Slow Food International
Cher Carlo Petrini,
De simple adhérent à Slow Food, il y a dix ans, je suis lentement devenu militant actif en Belgique pour finir par y assumer des responsabilités importantes en mettant en avant de mon combat, les valeurs initiales de Slow Food, celles que vous décrivez si bien dans votre livre « libérez le goût », tout simplement parce que je n’ai pas trouvé à ce jour un autre idéal qui correspond à mes propres valeurs.
A travers le vin, comme vous au début, je me suis totalement investi pour le BON en défendant bec et ongle la diversité des cépages et des vins, et leur sauvegarde dans leur goût et leur terroir.
Dans le vin, comme pour la nourriture j’ai fait du mot BON la force de résistance face au formatage du goût. Je suis devenu petit à petit un de vos meilleurs soldats pour la lutte pour la BIODIVERSITE et votre Fondation qui la défend.
A travers le mot PROPRE, j’ai entamé un combat sans concessions contre les méfaits de l’agriculture industrielle qui, en 60 années, a ravagé nos campagnes et enlevé leur âme et leurs droits à tant de producteurs. J’ai fait des circuits courts, de la noblesse du travail artisanal, un idéal absolu.
Enfin, à travers le mot JUSTE, je me suis mis à rêver à un DEMAIN plus juste de fait pour tous les petits producteurs de cette planète, pour la sauvegarde de leurs traditions, pour un demain où nous partagerions ensemble un nouveau monde dépourvu d’industrie agro-alimentaire, dépourvu de publicité, dépourvu de grande distribution.
A travers le mot JUSTE, j’ai rêvé de voir ma terre-mère, ma TERRA MADRE, revivre grâce à ses fils.
Grâce à vous, grâce à Slow Food, je me suis laissé à penser, après cinquante ans d’une vie sans trop d’émotions, que j’avais enfin fait quelque chose de bien de celle-ci, et cela rien que de voir des regards s’illuminer autour de mon combat, de mes paroles, de mes actes.
Et comme un militant, j’ai toujours rejeté d’un coup de main les doutes qui s’exprimaient quant à la potentielle compromission du sponsoring et du business qui germaient dans votre association, parce que j’estimais qu’il fallait effectivement accepter certains compromis pour permettre d’exister et se développer, parce qu’il fallait leur opposer une lutte sans fin pour retrouver les premières respirations de Slow Food.
Mais si les compromis sont une chose, renier ses valeurs en est une autre.
Alors que vous avez offert le futur Salone del Gusto de septembre à votre projet Terra Madre en unissant les deux noms, alors que vous avez offert à cette merveilleuse jeune femme multicontinentale l’image de cette semaine qui s’annonçait unique, certains de vos collaborateurs, car je n’ose imaginer que VOUS en soyez à l’origine, ont perverti toutes ces valeurs en mettant à l’honneur de ce salon la dégustation tapageuse de Sassicaia, dégustation que ces mêmes collaborateurs osent décrire comme mythique, comme une ode au Roi des Vins d’Italie.
Et donc, voilà comment nous allons fêter la Terre Mère, les petits producteurs et le patrimoine du goût :
Avec un vin qui a tout sacrifié au formatage bordelais ;
Avec un vin qui a mis au pinacle de ces supertoscans, terme atroce à prononcer, le cabernet sauvignon, le seul cépage non méditerranéen ;
Avec un domaine qui respecte à peine la notion d’agriculture dite raisonnée ;
Avec un domaine qui oppose à l’artisanat, à la naturalité du vin, toute la technologie industrielle, toute la chimie de la vinification, tout le formatage du bois neuf, de ces barriques qu’il y a encore 100 ans, votre pays ignorait l’usage ;
Avec un domaine où strass, paillettes, finance et champ de courses règnent en maître, méprisant l’idée même de ce que devrait être l’image de ce pour quoi vous vous battez dans vos livres et vos conférences.
D'avoir lu cette dégustation de la honte comme une des apothéoses du programme du Salone del Gusto, mon coeur a saigné, fortement.
Sassicaia n'est pas le Roi des Vins, il est le Roi des Non-Vins. Il n'y a pas un roi mais des milliers de rois des vins, et leur royaume se situe au fond d'une campagne perdue, sur des lopins de terre où un artisan, un homme souvent seul, cultive ses quelques vignes avec une étincelle dans les yeux : l'amour
Alors je vous le demande, à genoux s’il le faut, redonnez ses lettres de noblesse à votre combat et à celui de tant de militants, respectez cette merveilleuse dame qui fait l’affiche de votre futur grand salon et faites annuler cette dégustation de Sassicaia.
Ne tuez pas mon espoir et celui de tant d’autres, en honorant ce vin médiocre dans la biodiversité, ce vin qui se débrouille très bien sans vous, sans nous, qui n’est pas du monde dont nous rêvons et dont chaque âme qui compose la Terra Madre n’a nul besoin.
Votre combattant,
Patrick Böttcher
Porte-parole du Convivium Slow Food Metropolitan Brussels
Coordinateur national de l’Alliance Slow Food des Chefs - Belgique