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12 février 2015

Les divines amertumes de la Brasserie de la Senne à Bruxelles

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On pourrait définir presque comme règle que derrière chaque bouteille d’un domaine viticole artisanal se cache une véritable histoire, souvent poignante, qui passe soit par d’intenses liens familiaux, soit par une amitié tout aussi intense.
Il semble bien que cette règle s’applique aussi à merveille pour les brasseries artisanales, les vraies, pas celles où cette mention est inscrite sur l’étiquette mais qui appartiennent à un vulgaire lobby brassicole.

Une parfaite illustration de ceci est indubitablement l’aventure de la Brasserie de la Senne, l’autre grande brasserie artisanale bruxelloise qui, avec Cantillon, se partage les honneurs de produire des bières « véritables » au cœur de la capitale de l’Europe. Mais à l’inverse de l’aspect familial de la seconde, à la Brasserie de la Senne, l’histoire a été cousue par une formidable amitié, celle d’Yvan De Baets et Bernard Leboucq.

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Histoire et philosophie

Tout commence à la fin des années nonante avec Bernard qui accompagné de sa compagne monte une bière de garage, la Zinnebir, pour symboliser la lutte qu’il mène à l’époque avec des potes contre un de ces projets de construction anarchique qui ont tant défiguré Bruxelles.
A l’aube de l’an 2000, le collectif très bruxellois « 
Zinneke » (bâtard en langage canin français) s’émeut de cette lutte et, pour la seconde édition de sa célèbre « Parade », il décide de faire de la Zinnebir la bière emblématique de son évènement.
C’est à cette occasion que les deux compères vont se rencontrer, soudainement liés par la force de leur passion pour leur ville, la bière et particulièrement l’amertume que cette boisson peut dégager.
De ce choc générateur d’énergie va naître une volonté obsessionnelle commune de faire sortir de terre une vraie brasserie bruxelloise sanctifiant cette amertume.

Notre but est de remettre au goût du jour l’amertume,
cette saveur, si fondamentale dans l’évolution des sociétés humaines,
mais malheureusement délaissée dans nos sociétés modernes
qui, à l’amer et à l’acide, ont privilégié le sucré et le salé.

Pour cela le duo va s’employer à diverse formations professionnelles (CERIA), stages (Cantillon, Tilquin) et s’atteler avec pugnacité à chercher un lieu pour produire plus régulièrement la Zinnebir.
C’est chose faite en 2003, avec les moyens du bord, à Sint-Pieters Leeuw, un patelin de la périphérie bruxelloise appelée Pajottenland, et plus précisément, dans l’ancien dépôt de la brasserie Moriau.
Cette première expérience de production officielle se nommera Sint Pieter Brouwerij.

Made in Brussels

La rage de produire de nouvelles bières et le succès aidant, il ne faut toutefois pas deux ans pour que le duo se rende à l’évidence, la structure du moment ne permet pas de répondre à leur projet, et au fil des ans, la flamandisation de la périphérie de la ville les éloigne de celle-ci, les éloigne de cette furieuse identité bruxelloise dont ils se revendiquent.
Pour se convaincre de cette rage passionnelle, il n’y a qu’à voir les très nombreuses allusions au patrimoine culturel et folklorique brusseleir auquel se réfèrent les étiquettes de leurs bières, ce « brusseleir » doux mélange Zinneke entre le flamand (en grande partie) et le français (en moindre partie), ce folklore qui sent bon l’esprit « Zwanze ».

Multipliant dès lors les péripéties, passant d’un nouveau local à l’autre, il va falloir au duo près de cinq années laborieuses avant de trouver leur Eldorado au cœur de Molenbeek, une vraie commune bruxelloise pour y jeter les fondations définitives de la Brasserie de la Senne, avec l’aide des pouvoirs publics et d’investisseurs amis comme leurs importateurs japonais et américain, parce que leurs fonds propres sont à cette époque presque nuls.

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Sise dans un dépôt de construction assez récente dont il n’y a que les murs de briques nues à leur arrivée, ce relatif désert va leur permettre d’ériger une brasserie parfaitement pensée, où l’esbroufe fait place au côté pratique, où chaque élément figure à la meilleure place pour créer et produire les bières en lesquelles les compères croient fermement. Le 22 décembre 2010, le miracle s’opère, leur premier brassin 100% bruxellois a lieu.

Nous produisons les bières que nous aimons boire,
pas celles que le formatage oblige,
nous n’y dérogerons jamais,
et tant mieux si le consommateur aime ça !

La définition très Slow Food des bières que cette paire amicale a en tête est simple mais efficace : à côté de la colonne vertébrale liée intimement à l’amertume, et sans rejeter les points positifs de la technologie moderne, leurs bières devront conserver un caractère particulier empreint d’un style à l’ancienne, non filtré, non pasteurisé mais plus encore lié à des matières premières de la plus haute qualité, jamais masquantes, jamais perverties par l’ajout d’additifs, une discipline très proche du vin naturel.
Face au caractère fort qui devra s’exprimer aromatiquement et sapidement, les bières devront être résolument sur la buvabilité, avec une charge en alcool faible, comme la Taras Boulba, la cuvée préférée d’Yvan, une bière qui titre à peine 4,5 % et dont l’amertume déploie un océan de fraicheur apéritive, un idéal absolu en fin de repas gastronomique.
Cette relation privilégiée avec un faible dosage en alcool s’inscrit totalement en porte à faux par rapport à la course aux degrés à laquelle on assiste hélas dans le monde brassicole et… vinicole.

Un autre exemple de cette approche sans le moindre compromis est la sélection drastique des houblons, les plus purs possibles, ceux qui conféreront leur identité spécifique aux différentes cuvées et cela, jamais, en sélectionnant des houblons qui permettent de masquer des erreurs et de travailler avec des filets à mailles larges.
Cette culture de la qualité du houblon, les deux compères ont été la puiser partiellement dans leurs relations très étroites avec la famille Van Roy de chez Cantillon, mais ensuite et surtout, en n’hésitant pas à se déplacer pour assister aux récoltes, préférant un produit non bio mais élevé avec rigueur à un label bio industriel.
Ce type de relations permet d’établir un lien très étroit avec les producteurs, allant jusqu’à les impliquer personnellement dans le produit fini, elle s’éloigne de la notion bassement commerciale même si, pour les propriétaires de la Brasserie de la Senne, la qualité n’a pas de prix.

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Toujours dans l’exemplaire, il y a l’aspect terriblement contraignant que la brasserie s’impose dans toutes les étapes de production. Contrairement à la Cantillon qui produit des bières de fermentation basse et spontanée et qui sont élevées pendant deux ans au moins, ici, même si l’on veut la minimiser au maximum, la technologie est plus prépondérante pour leurs bières à fermentation haute dont le cycle de production avoisine les huit semaines.
Pour préserver l’unique souche de levure qu’ils ont sélectionnée et éviter tout dérapage, cette exigence minimaliste demande une hygiène absolue dans la qualité des process, la moindre invasion extérieure bactérienne ou levurienne étant capable de faire partir en vrille les fermentations en cuve acier.

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Depuis cet hiver 2010, il y a donc clairement désormais deux brasseries pleinement artisanales à Bruxelles bien que les bières qui y sont proposées à la vente sont foncièrement différentes.

Mais cela n’étonnera pas grand monde qu’au-delà de ces différences, on retrouve de très nombreux points de comparaisons :

Tout d’abord, chacune, avec leurs moyens, tente au mieux de proposer des produits issus de process de fabrication qui sont respectueux de l’environnement tel le refus d’utiliser des désinfectants chlorés, l’utilisation de sources d’énergie locales ou encore le recyclage des drèches (résidus solides du brassin) vers des agriculteurs eux-aussi pratiquant une agriculture durable.

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La comparaison est aussi très sensible quand on regarde la communication à travers les étiquettes ou les produits dérivés comme les T-Shirts ou une attention particulière est mise sur les logos et sur le graphisme afin de conférer une identité forte à chaque bière et à la brasserie elle-même. Pour la Brasserie de la Senne, les superbes illustrations, dont beaucoup rappellent les affiches de la lutte ouvrière des années trente, sont le fruit de Jean Goovaerts, le cousin de Bernard.

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Ensuite, à la journée « Quintessence » et au brassin public de Cantillon, la brasserie de la Senne propose chaque 22 décembre « son » évènement populaire, le « Brussels Calling », afin de saluer le premier brassin opéré à Molenbeek….
Et quand la bière et la fête populaire s’inspire du plus grand album rock de tous les temps… on se régale à l’avance.

Autre comparaison et non des moindres, dans les deux brasseries, il y a un profond respect pour le travail d’équipe avec chaque intervenant qui est mis à pied d’égalité, même avec les patrons, tant au niveau du travail à prester que de la joyeuse ambiance qui se dégage des deux lieux.
Cette responsabilisation dans le respect y est clairement exemplaire et mériterait un livre à elle-seule.

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Enfin, les deux projets s’inscrivent en regardant vers l’avenir, avec un réinvestissement permanent qui dans le cas de la Brasserie de la Senne se marquera très bientôt par un achat de nouveaux matériels permettant une augmentation de production, augmentation absolument nécessaire tant la demande à l’exportation est en croissance gigantesque, particulièrement vers les Etats-Unis.

Mais pour conclure ce paragraphe, faisons fi des comparaisons dont j’ignore si avec le temps, elles honorent toujours autant ou finissent un peu par lasser les jeunes propriétaires de la Brasserie de la Senne.
Laissons-nous simplement le plaisir de signaler que de nombreuses récompenses ont émaillé tous les efforts passionnés d’Yvan et Bernard, des reconnaissances locales (Meilleur artisan bruxellois 2012 - Le Soir), internationales (nombreuses citations dans Rate Beer, le Billboard de la bière), mais la plus grande des consécrations est de voir des restaurants qui ont le vent de la créativité en poupe avoir presqu’exclusivement sélectionné leurs bières, des enseignes comme Bouchery, Chez Max, Les Brigittines, PinPon et bien d’autres encore.

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Les bières

La visite à la brasserie a été l’occasion de déguster les bières disponibles à ce moment.

Parmi elles, les cinq bières régulièrement produites :

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Taras Boulba

Honneur à la bière qui reflète probablement le mieux la philosophie du duo à la tête de la brasserie : une bière blonde très légère avec ses 4,5% d’alcool avec un nez puissant d’agrumes, mais surtout une forte amertume en bouche, dû à l’ajout très important d’houblon très fins et floraux.
Ce compromis alcool faible et amertume forte confère énormément de buvabilité dans la fraicheur et fait de cette bière l’idéal absolu pour terminer un repas copieux plutôt que rester dans de vins capiteux.

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Zinnebir

La Zinnebir, en dehors de toute la symbolique qu’elle véhicule pour la brasserie (voir plus haut) est clairement la « Pils » de la gamme, la bière la plus facile d’accès où l’amertume moins présente que pour la Tars Boulba (mais quand même vachement plus marquée qu’une Pils industrielle).
Titrant 6%, elle est un peu plus forte à la perception, mais l’alliance du fruit au sucre résiduel proche de zéro fait qu’à nouveau la buvabilité est énorme.
Il est vraiment important que les habitués des Jup, Stella et autres produits purement industriels comprennent que ce qui les surprend quand ils abordent ce genre de bière, c’est la perception de nombreux arômes et de textures inhabituelles parce que celles-ci ne sont pas couvertes par le sucre ou d’autres adjuvants.

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Stouterik

La Stouterik rappelle par son nom à la fois la Stout, nom flamand des bières de type Guiness sur le continent et Stoumerik, gentil imbécile en dialecte bruxellois.  Yvan et François adorent user de ces mélanges de noms aux consonances bruxelloises, toujours avec un esprit très décalé, très second degré, sans jamais se prendre au sérieux.
De la stout britannique, cette bière conserve l’esprit aromatique (chocolat, café et autres arômes torréfiés), la texture plus capiteuse, les amers fins (conférés ici par des houblons anglais), mais par rapport à la lignée issue de la perfide Albion, les faibles 4,5 % d’alcool embarqués confèrent à cette bière beaucoup plus de fraicheur et surtout une buvabilité nettement plus conséquente.

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Jambe-de-Bois

Petit pas de côté pour l’alcool (ici à 8 %) qui se justifie par le besoin de proposer une bière triple, la Jambe de Bois est une blonde au caractère très marqué, avec une amertume pas piquée des hannetons, mais aussi une aromatique très intense qui rappelle les épices, les zestes d’agrumes et un poil la banane.
Mais, à nouveau, dans la catégorie « triple », cette bière s’oppose à l’écœurement trop classiquement retrouvé ailleurs par une fraicheur intense et donc une facilité de descente bien plus évidente.

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Brusseleir (non dégustée à la brasserie)

De mes souvenirs récents, cette bière  qui titre à nouveau  8 % en alcool, est la réponse des brunes à la blonde Jambe-de-Bois, avec un caractère malté (qui confère l’ambré) bien plus marqué et les notes de chocolat qui rappellent le stout. C’est clairement la bière la plus forte de la gamme.
Il faut noter que le nom actuel est apparu assez récemment parce qu’il remplace le nom d’origine « Zwarte Piet », détourné de son aspect folklorique par un
politicien raciste, cynique et imbécile qui a forcé la brasserie, profondément choquée à en changer le nom (Zwarte Piet ou Pierre le Noir est le compagnon de Saint-Nicolas dans la tradition).

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X-Mas Zinnebir

X-Mas Zinnebir est la première des deux bières de « Saison » produites par la Brasserie de la Senne.
Comme toutes les bières de Noël, c’est une bière forte, titrant 7,8 % d'alcool, mais qui, à nouveau par sa fraicheur et son amertume s’éloigne à merveille des espèces de sirops de Liège en bière que l’on retrouve trop souvent dans cette catégorie. A noter l'étiquette tout simplement magnifique !

Brussels Calling

Comme indiqué plus haut, la Brussels Calling est bien plus qu’une bière de saison c’est une bière d’un jour, celui de l’anniversaire du premier brassin.
C’est une blonde titrant 5 % d'alcool, très fruitée (agrumes) et houblonnée, volontairement axée sur la soif absolue, une bière de partage festif absolu.

Viennent s’ajouter à ces bières de production classique à assez classique, des tas de one shot ou autres bières expérimentales aux noms qui sonnent toujours aussi bon le patrimoine et le folklore bruxellois comme la schieven tabarnak, la wadesda, la manneken penn, etc….

Conclusion

La Brasserie de la Senne mérite très largement de partager avec Cantillon l’Olympe brassicole des bières artisanales belges et plus particulièrement bruxelloises.
Si ici, la recherche de fraicheur est conféré par des magnifiques amers et non par une forte acidité, on ressent de façon tellement évidente la passion incommensurable qui se dégage des lieux et l’esprit d’intense camaraderie que les compères Yvan De Baets et Bernard Leboucq cultivent si biens et font rayonner dans leur équipe et chez les visiteurs.
Malgré le jeune âge de leur entreprise, ils ont réussi à faire de leur brasserie un témoin culturel de l’histoire de la bière belge, et ça, c’est absolument irremplaçable !

Pour vous en convaincre, foncez-y, et des deux larrons, demandez Yvan, c’est un très bon « client » absolument intarissable qui vous fera, mieux que quiconque revivre à merveille leur magnifique aventure.

Coordonnées

Brasserie de la Senne

Chaussée de Gand, 565 - 1080 Bruxelles (Molenbeek-St-Jean)
TEL +32 (0)2 465 07 51
Mail :
info@brasseriedelasenne.be
Web :
http://brasseriedelasenne.be/
Facebook :
https://www.facebook.com/pages/Brasserie-de-la-Senne/111567682217219

La brasserie est ouverte du lundi au vendredi de 9h à 15h.
Une visite avec dégustation est possible par groupe de quinze personnes minimum au prix de 9 euros par personne.

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Commentaires
R
Une belle note
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