L’Alsace des Vins de Terroirs est-elle au bord d’une crise profonde ?
Une nouvelle édition de Millésimes Alsace et une invitation du CIVA à y participer ont été ce week-end une excellente occasion de faire le point sur l’état de l’Alsace.
L’accueil, les sourires et le professionnalisme restent à l’évidence un point très fort des vignerons qui ont participé aux festivités, avec comme point d’orgue l’exceptionnelle soirée « Les Divines d’Alsace », où en dehors de toutes différences d’approche à la vigne et à la cave, les de plus en plus nombreuses ambassadrices de l’Alsace se sont données à 150 % pour nous accueillir dans un univers qui mélangeait avec beaucoup de bonheur la grande diversité de leurs vins avec une gastronomie très « produit » que certaines grands messes Slow Food n’auraient pas refusées, loin s’en faut !
Autre très beau moment, même s’il fût copieusement arrosé « à la belge », ce fut l’accueil par les syndicats de vignerons, comme pour nous, à Ribeauvillé, cela pour nous faire (re)découvrir la grande diversité des terroirs marno-gréseux qui entourent la cité médiévale des Seigneurs de Ribeaupierre.
Une fois de plus, évidence fut faite de la capacité qu’ont ces sols d’imprimer leurs différences, surtout sur le plus grand buveur salin qu’est le riesling.
Bref, sous le soleil ou la pluie, l’Alsace garde toujours ce cachet unique qui génère tant de bonheur chez le passionné qui aime à prendre son bâton de pèlerin pour aller à la découverte de cette mosaïque de terroirs et de gens.
Autre confirmation pour ceux qui aiment la droiture des vins de millésimes frais, le malique 2013 et le tartrique 2014 apportent une dimension cristalline proche des grands 2008 et 2010, après deux millésimes plus lourdeaux, même si pas mal de 2012 s’en sortent avec les honneurs et une tension qui n’est pas conditionnée par un excès de sulfites.
Quelques 2009 aussi furent dignes de grandes surprises de fraicheur comme sur l’Osterberg de Ribeauvillé.
Et si l’on regarde les choses depuis 2008, on devrait totalement se réjouir parce que finalement, dans la qualité et la variété des millésimes, l’Alsace des vins de terroir s’avère tout sauf formatée et propose vraiment du vin pour tous les goûts.
L’arbre magnifique décrit ici cache hélas une forêt qui elle donne un panorama assez inquiétant de la situation de la vigne et plus particulièrement des vignerons alsaciens.
Hors des frontières de la désormais « Grande Région de l’Est », l’Alsace continue à abreuver la grande distribution de vins dilués où l’aspect quantitatif des vins de plaine rassure hélas plus le compte bancaire des producteurs que la qualité des vins de coteaux. Un contraste invraisemblable mais réel avec de nombreuses autres régions viticoles de l’hexagone.
Et comme si cela ne suffisait pas, il est toujours aussi difficile malgré les efforts réalisés encore ce week-end de persuader le consommateur lambda et la restauration que l’on fait particulièrement des vins secs de très haute volée tant en matière qu’en garde sur les grands terroirs de l’Alsace.
Cette situation n’est certes pas neuve, et tant que tout allait pour le mieux ou du moins pas trop mal, on a vu nombreux vignerons s’accommoder de vendre leurs grands crus à des visiteurs éclairés à des prix, le plus souvent beaucoup trop faibles, les locomotives comme Humbrecht, Deiss, Ostertag et une poignée d’autres étant même souvent montrés du doigt pour pratiquer des prix défiant les bourses les plus aisées, alors qu’ils ne représentaient jamais que le quart de la moitié de chardonnay de la Bourgogne voisine, sans parler des champagnes.
Comment ne pas dénoncer, même si on les adore tendrement, ces vignerons qui proposent des vins de grands terroirs, situés sur des pentes à faire trembler des alpinistes chevronnés, sur des sols en biodynamie, le tout à moins de 10-12 euros, et finalement beaucoup trop proches des vins d’entrée de gamme.
Cette dénonciation, elle me fut souvent balayée d’un revers de la main par ce côté obsessionnellement réservé et modeste de l’alsacien, le client heureux devant être le roi, et forcément, moins le client paie, plus il est heureux.
Aujourd’hui, elle l’est beaucoup moins, parce que de nombreux producteurs, souvent jeunes sont désormais au bord du précipice bancaire… la faute très probablement à un climat désormais beaucoup moins classique, à une barrière vosgienne qui montre ses limites face aux invasions maritimes et à tous les tracas qui sont lié à ce climat inconstant et désormais trop humide, citons la drosophile Suzuki et l’omniprésent mildiou qui, cette année encore, fait craindre un nouveau millésime à 50% de productivité, le quatrième d’affilée à être marquée par cette baisse foudroyante.
Il faut désormais pousser la porte de grands maisons séculaires pour s’entendre dire « Ici, nous avons encore un peu de stock » !
Le malaise est aujourd’hui réel, et la grimace n’est pas cachée très loin derrière les sourires de façade.
Alors que faire sauf établir un constat d’urgence et s’arrêter là ?
Avant tout, il faut donner aux grands vins de terroirs alsaciens leurs vraies marques de noblesse, cela par une communication nationale et internationale bien plus efficace encore que les efforts entrepris ce week-end. Il faut apprendre à vendre de la qualité à la place de la quantité, il faut apprendre à faire fonctionner les mécanismes de l’offre et la demande.
Ensuite, il faut que les passionnés de la première heure acceptent de mettre la main à la poche, il faut qu’ils acceptent de remonter avec 50 bouteilles au lieu de 100, pour un prix égal.
Il y a aussi urgence à ce qu’ils deviennent de vrais ambassadeurs d’un produit à un prix réellement équitable et honnête par rapport à un travail énorme en amont.
Enfin, il est urgent d’accepter de quitter la quiétude du conservatisme et faire voler en éclat cette notion de vins de cépages tellement abaissante dès qu’on franchit les frontières alsaciennes alors que d’autre régions pourtant adeptes du monocépage ont depuis longtemps adopté le terroir comme unique communicant bien que leurs terroirs représentent une diversité souvent moins grande que ceux de l’Alsace.
On se réjouira, après des années de tergiversations, de voir l’arrivée des « Premiers Crus » et des « Lieux-dits » renvoyer le cépage à la contre-étiquette, parce qu’on l’accepte ou non, vendre un nom marquant et souvent historique délimitant une identité géologique marquée, c’est quand même autre chose que de s’arrêter modestement à un cépage.
Nous nous trouvons par la force de la volonté de la nature à un carrefour où nous devons choisir entre sauvegarde ou précipice pour tant de producteurs passionnés et qualitatifs… et le choix nous devons tous le faire aujourd’hui, parce que demain sera trop tard.
Cela nous incombe à tous, vignerons, syndicats, associations, distributeurs, restaurateurs et consommateurs.
Alors, comme on dit en alsacien, Hopla !