Friture René, la cuisine de Brel
Cet article est le second d’une trilogie que je consacre en ce début d’année au bien bouffer à Bruxelles. Après le bistronomique « Chez Max » et avant de s’attaquer au gastronomique « Bouchéry », passage obligé par la cuisine locale.
Même si elle est proche de sa cousine brabançonne, la cuisine « bruxelloise » existe bel et bien, avec son identité propre, ses goûts, ses odeurs et ses décors.
Ne la cherchez pas dans la voute céleste d’un guide Michelin ou autre Gault Millau, vous aurez du mal à l’y trouver parce qu’elle se voudra toujours simple, sans chichis, autour d’un verre de bière et d’une table où le bruit ne fait pas peur, elle se voudra toujours dans l’esprit de la Zwanze, ce mot d’argot bruxellois sorti de nulle part qui mélange humilité, rigolade et second degré.
Un des plus grands ambassadeurs de cette cuisine est sans nul doute la « Friture René », l’établissement de Dirk et Nicolas Piolon, de vrais « kets » (gamins) de Bruxelles entouré de toute leur si énergique « famille » !
L’histoire de « Friture » comme on dit chez nous commence en 1932, Place de la Résistance dans un des quartiers les plus populaires d’Anderlecht, pile au même endroit qu’elle occupe encore aujourd’hui.
C’est alors encore une vraie « friture », comprenez un point de vente de frites que les gens venaient chercher dans une grande casserole pour manger à la maison en famille.
Et de mémoire grand-parentale, dès sa création, l’endroit est devenu une référence absolue.
Avec le temps, tables et plats locaux se sont ajoutés, la friterie est devenue doucement mais sûrement, un restaurant à part entière, même si l’esprit du début persiste par le décor de fond et par le passage obligatoire par la « cuisine » avant d’accéder aux tables.
Avec le temps, une magnifique terrasse chauffée est venue aussi de greffer pour s'insérer au coeur de la place fraichement rénovée.
Pour le reste, les décennies passant, la maison a gardé nom et succès mais les a inscrits en lettres de noblesse gastronomique, jamais en sortant l’argenterie et les belles nappes, jamais en faisant le gros cou, le « dikkenek », comme on dit ici , mais simplement grâce à la qualité de ses produits, tous issus du registre du restaurant traditionnel bruxellois.
Parmi les incontournables réalisations du chef Dirk Piolon, on retiendra particulièrement : les moules parquées (un des derniers endroits de Belgique où l’on propose ces moules crues), les moules, toujours, mais cuites à tous les jus dont l’incontournable gueuze Cantillon, le duo de croquettes de crevettes et de fromage, l'« Américain » (filet américain préparé) et les carbonades, le tout, toujours accompagné des frites locales… quand c’est possible.
Moules Parquées
Alors que de nombreux touristes débarquent aujourd’hui à l’appel de ces fééries bien belges, pour les locaux, la référence absolue de « Friture », c’est le choix impressionnant de qualité de pièces de viande grillées, des viandes de toutes origines dont le cuberoll irlandais mais aussi un des rares Blanc Bleu Belge digne d’intérêt.
A cette indéniable qualité solide est venue se greffer depuis une dizaine d’années l’élément liquide, sous la houlette de Nicolas, le fils de la Maison, et cela, presque à contre-courant de l’esprit « brasserie belge ». A contre-courant parce que, même si, ici, la Pils ou la Cantillon règnent encore en maitre, une impressionnante carte de vins de haute volée est aujourd’hui proposée avec un très large choix dans la sphère naturelle comme Valette, Lucas Rieffel, Gramenon, pas mal de bojos de la génération Lapierre et, depuis peu, un très intéressant choix de vins espagnols.
Une dernière originalité de la maison est l’exceptionnel choix de thés de Chine proposés en fin de repas. Ce choix est intimement lié à la passion de Nicolas pour ce breuvage séculaire dont la dégustation est très proche de l’esprit du vin et pour lequel, notre sommelier travaille avec l'Association des Feuilles Vertes, une institution dans le genre, composée de passionnés qui se rendent chaque année en Chine à la rencontre des plus grands maîtres. Depuis peu, Nicolas organise aussi des animations-découvertes.
Si la clientèle locale se presse tous les jours au portillon parce qu’elle sait que la qualité et la fraicheur seront toujours au rendez-vous, qu’on y passera un moment sympa et goûteux, qu’on en sortira le ventre bien rempli, c’est dans le sourire qu’affiche les visiteurs « étrangers » (hors frontières et... hors Bruxelles) qu’on mesure réellement la valeur de ces lieux, au point que tous ceux que j’y ai amené une fois me boudent si, lors de leurs visites suivantes, la Friture René n’est pas au programme!
Les prix sont aujourd’hui probablement bien plus élevés que chez le médiatique « Léon », mais au formatage touristique de cette chaine sans grand intérêt, la Friture René répond par le vrai et le bon, deux véritables gages de la gastronomie populaire, celle qui touche à l’âme et qui a aussi indéniablement son prix à payer.
Friture René
Place de la Résistance 14
1070 Anderlecht (Bruxelles)
TEL : +32 (0)2 523 28 76
Réservation possible à partir de 8 personnes