Bouchéry, la nature des choses de la bouche
A côté de toutes les influences et traditions culinaires dont le melting pot belge est riche, il y en a une, presque inconnue des générations qui nous précédé, et qui veut s’attacher à la saveur pure, celle de produits les plus naturels possible, avec une cuisine qui, avec une éventuelle modification très douce des matières premières, se marque plus sur l’association des textures et des arômes et s'éloigne ainsi de la cuisine de transformation plus classique.
Dans cette école belge de la « saveur », s’inscrivent des maisons comme celles d’Arabelle Meirlaen, Christophe Hardiquest (Bon, Bon), David Martin (La Paix) et Nicolas Scheidt (La Buvette), liste non exhaustive, j’entends bien.
Et, dans ce néomicrocosme de la bouche, celui qui semble bien mettre tout le monde d’accord et qui personnellement m’a mis à genoux d’admiration, c’est Damien Bouchery et son restaurant éponyme « Bouchéry », où seul un petit accent supplémentaire sur le « e » vient ajouter une touche subtile, une touche qui sent la complémentarité, comme celle qu’il partage avec Bénédicte, sa lumineuse compagne.
Cette maison, bien plus qu’une autre, mérite ce troisième volet que je consacre aux grandes tables bruxelloises.
Damien est français d’origine bretonne. Passionné de cuisine depuis l’âge de 11 ans, il part faire ses classes à Paris, Londres et Genève. Puis, en 2009, tout comme Nicolas Darnauguilhem (Neptune) et Nicolas Scheidt (La Buvette), il monte sur Bruxelles pour accompagner le flot de ses compatriotes qui viennent s’installer dans la capitale belge.
Il y trouve une place de chef de cuisine au « Bistrot du Mail », alors étoilé Michelin. Malgré un environnement cadre excellent, dès l’année suivante, il lui apparaît l’évidence qu’il souhaite être maître à bord et c’est, in fine, Bénédicte qu’il rencontre au « Bistrot » qui va lui insuffler la dose d’encouragements nécessaires pour voler de ses propres ailes.
Cela tombe bien, l’ancien étoilé « Pain et le Vin » est disponible… l’aventure Bouchéry commence.
D’emblée, l’inventivité de la cuisine et la recherche tous azimuts des saveurs naturelles font mouche. Toutefois, la puissance fougueuse et multidirectionnelle des débuts a besoin d’une maturité qui, clairement, aujourd’hui, est atteinte pour atteindre une délicieuse harmonie.
Cette harmonie fonctionne un peu comme un grand orchestre de chambre où la technicité hors normes de Damien Bouchery serait comme une association de solistes à leur sommet instrumental, le tout mis en fusion par l’énergie créatrice de Bénédicte qui ferait, ici, un peu office de chef d’orchestre.
Photo : Géraldine Jacques
Ceci est évidemment une image presque simpliste parce que le binôme s’interpénètre largement dans cette musique culinaire et que la technicité susnommée est ici à comprendre comme un terme bien plus créatif qu’une basique image de technicien de cuisine.
Cette harmonie parfaite se fait dans la douceur et le calme et elle se ressent d’emblée quand on pénètre dans l’antre à la vue de la simplicité des tables qui s’insèrent dans une ambiance pastel, très reposante, un peu comme si le message « on va vous faire du bien » était omniprésent.
Et face à cette univers tout en quiétude, le choix de la présentation de l’équipe, si attentive et tout de noir vêtue, tient presque du génie dans la sobriété.
Puis, tout en douceur, le concert de saveurs commence...
Pour bien comprendre comment il est perçu par nos tympans salivaires, il faut revenir en arrière dans le temps, ce temps qui est le maître-mot de la créativité.
Quand je parlais plus haut de « puissance fougueuse et multidirectionnelle des débuts », il faut bien imaginer que dès son installation, le couple est ivre de ce que la nature peut offrir en saveurs natives et quand Bouchéry ouvre ses portes, Damien et Bénédicte sont baignés , de par leur nombreux voyages, d’une influence internationale mais aussi, ils sont terriblement attachés au terroir local. Et, de ce terroir, ils tentent d’associer les richesses de manière quelquefois surprenante.
S’ils séduisent dans la globalité, comme dans un coït passionné, certains moments sont trop extrêmes, trop intenses que pour permettre la béatitude absolue.
Une des raisons de ces pics de distorsions aromatiques est plus que probablement lié au fait que maîtriser un foisonnement de saveurs et devoir assurer en salle midi et soir ne permet probablement pas de poser, de fusionner à la perfection tous les talents de solistes qui explosent de l’assiette-orchestre.
C’est précisément là que toute l’intelligence de Damien et de sa muse va bouleverser les choses en prenant, fin 2013, la décision extrême de fermer à midi pour consacrer l’entièreté de la journée à poser le menu du soir.
Parce que le frais du jour est la dominante, la journée commence donc aujourd’hui par une partie de cueillette en équipe, avec ces étonnantes parties de chine forestière où l’on récolte ce que la nature a à donner, transformant la cuisine en herbier vivant fait d’angélique, reine des près, tanaisie, berce sauvage ou encore oseille.
De cette recherche du graal terrestre, Maria Tarantino en a fait un petit reportage disponible ici, c’est à ne pas rater.
Puis vient la phase de composition avec le questionnement et l’expérimentation nécessaires pour aboutir à ce que chaque plat soit comme un mouvement d’une œuvre parfaite, une œuvre où à l’oursin de saveurs des débuts ont aujourd’hui succédé des accords absolus.
Dès lors, comme le montre le menu ci-dessous, si, sur papier, certaines associations surprennent encore l’esprit, l’harmonie recherchée est pleinement atteinte quand le contact du troisième-type se fait.
S'il ne faut que sortir un exemple de l'originalité des associations proposées par ce menu, le saumon mariné àla tanaisie, son condiment aux tomates vertes, le tout associé aux clémentines est tout aussi sublime qu'improbable. Il y a là un équilibre étonnant en saveurs amères, acides, fruitées ainsi qu'en textures, avec les graines de sarrasin pour ajouter du croquant. Du grand art !
Certes, le végétal naturel, simple, minimaliste mais brillant est dans les propositions de Damien l’épine dorsale de chaque plat, mais, de fait, rien n’est laissé au hasard dans la qualité des produits où les nobles origines résonnent à la libido gustative : Hugo Desnoyer, Dalle, Marcolini et tant d’autres sont parmi les contributeurs de l’harmonie de l’orchestre.
Et quand on peut faire maison, on n’hésite pas, on le fait, comme pour le pain et les beurres, une tuerie totale !
Cette féérie des sens de la bouche suffirait largement à justifier cet article dans ce qui reste un blog de vins et, certainement, sur des dizaines de pages supplémentaires. Mais vous l’imaginez bien, les vins proposés sont totalement au diapason de la cuisine.
Rarement, un restaurant aussi pointu, salué par les plus grandes instances comme ce récent titre de meilleur restaurant belge de l’année pour Gault Millau, n’aura pris autant de risques de bousculer les habitudes bourgeoises de la clientèle belge en ne proposant que des vins liés intimement à la sphère naturelle.
Une évidence pour le couple, parce que ce choix est totalement en phase avec les ingrédients de base des plats ; assurément, il fallait que les vins puissent eux aussi s’exprimer dans leur candeur originelle. La réussite est absolue parce que le choix défie les déviances qu’on reproche souvent à ce genre de vins, parce que le couple aime à voyager à proximité ou très loin pour découvrir et prendre la quintessence.
Si l’offre de la carte n’est pas gigantesque, elle en est pour autant, précise, pure, minérale ou gourmande quand la nécessité s’en fait sentir. Un véritable plaidoyer pour les Vins Naturels ! Et pour animer cette offre, il y a, en salle, soit Bénédicte, soit Alex Moreau, le sommelier actuel pour tracer avec beaucoup de professionnalisme les sentiers des meilleurs accords, sans pour autant faire flamber la carte de crédit, au contraire même.
Pour illustrer ceci, voici quelques quilles qui ont « assuré » sur le menu plus haut :
Fêtembulles, Pet Nat de chenin - l’Opéra des Vins du Domaine de l’Ange Vin (Jean-Pierre Robinot)
Jurançon sec 2012 du Château Lapuyade
Bourgogne Chitry 2011 de De Moor
Autrement 2012 de Jacques Maillet un assemblage de mondeuse, pinot noir et gamay
Istina 2011 de Francuska Vinarija (Estelle et Cédric Bongireaud), assemblage de pinot noir et de vranac, un cépage serbe local.
Un choix plein de finesse, jamais en écrasement et avec un splendide éclectisme puisque Loire, Sud-Ouest, Bourgogne, Jura et Serbie sont visités.
Cela mérite d’être souligné pour une ville où il y a 25 ans, quand on n’y buvait que des Grands Crus Classés de Bordeaux… ou presque.
Enfin , petit clin d'oeil fort sympathique, les eaux servies à volonté sont proposées gratuitement à la clientèle.
Comme pour une table d’hôte, deux menus vont sont proposés, l’un de 6 services à 78 euros et l’autres à 8 services à 98 euros, sans compter les nombreuses mises en bouche ou mignardises.
Selon votre envie, il vous suffira de choisir entre les deux et de vous laisser guider, sans carte-guide, parce que plats comme vins vous seront dévoilés au fur et à mesure de la soirée comme un ballet de danseuses elfiques qui s’offre soudainement à vous.
Parce qu’il y a tant de musicalité dans la cuisine de chez Bouchéry, vous savez ce qu’il vous reste à faire !
Photo : Bénédicte Bantuelle
Restaurant Bouchéry
Chaussée d'Alsemberg, 812 A
1180 Bruxelles
Tél. : +32 (0)2 332 37 74
Ouvert le soir du lundi au samedi, sur réservation uniquement
Web : http://www.bouchery-restaurant.be/
Facebook : https://www.facebook.com/pages